vendredi 4 décembre 2009

Mauvais esprit dans la mauvaise rame

Reçu le RSA cette nuit, au moins mon insomnie m’y a fait assister en direct. Je vais aux grands magasins, alors que mon but initial était d’aller à Monoprix, mais la bouche du métro 3 s’ouvre toute grande, et c’est direct, alors.... Je cherche vaguement une casquette noire, et j’achète vraiment un chapeau violet. Je ne sais pas pourquoi, je dois avoir un double maléfique, imprévisible et dépensier qui prend possession de mon quasi CORPS de RÊVE quand je franchis le seuil de ma porte. Enfin le chapeau n’est pas cher, j’ai quand même un début de commencement de surmoi. D’ailleurs, j’avais très envie d’acheter une chapka Paul Smith, vraiment pas chère elle non plus (149 euros, oui, bon, c’est une Paul Smith), parce que copine Peggy en a acheté une dans une friperie de Londres, avec des bottes de cosaque, et que Berlin en chapka ce doit être bien, surtout si par chance on reçoit un fluide glacial de Sibérie, un de ces rudes hivers continentaux que j’ai toujours préférés à la molle moiteur océanique. Au rayon créateur du Printemps homme, de superbes chaussures dont le cuir est couvert de mille perles violettes. Elles coûtent malheureusement 1,87 RSA (ma nouvelle unité de mesure monétaire mensuelle).

Je rentre et bingo, une voix crachoteuse dans le micro du métro fait état de « problèmes matériels à la station Bourse ». M’aurait étonné que ce soit des problèmes spirituels, notez bien. Tout le temps de lire Direct Soir au milieu de la rame dont la population se densifie à mesure qu’elle reste inerte sur son quai. Donc cela donne dans mon cerveau, pendant environ 457 secondes d’attente : voici 32 ans Bokassa est proclamé enpereur de Centrafrique, vêtu de la tenue du maréchal Ney en 1804, au sacre de Napoléon – On dit que c’est kitsch, mais je trouve cela cool, le sacre de Bokassa, cela a toujours plus de gueule que les constipés en costumes gris, et tant qu’à être un pantin au pouvoir de décision tendanciellement nul, autant sombrer dans des frasques grandioses et déplacées, c’est toujours plus inattendu qu’une Rollex au poignet, des Ray Ban de flic et un sourire de con – Cap Vert, des îles épargnées, avec des enfants qui plongent en riant dans les vagues, des pêcheurs qui… – j’en crois pas une virgule, le journaliste a dû recevoir des biftons pour faire oublier le gilet pare-balles qu’il portait même en bronzant, les plages sont probablement souillées des balles de Kalachnikov, de squelettes de bébé et de mines antipersonnelles de je ne sais quelle rébellion musulmane, animiste ou raëlienne, de toute façon je n’ai aucun envie de choper l’Ebola dans ces contrées arriérées – Recettes spéciales salon nautique : dorade rôtie à l’ail – bon sang, qu’est-ce que j’ai mal au bide, c’est atroce cette aérophagie et cette constipation consécutives à mon sevrage, j’ai le ventre gonflé d’air en lieu et place de mon ancienne graisse et c’est tout aussi laid, et puis cela me presse le plexus et j’angoisse, mais qu’est-ce qu’ils foutent avec leurs problèmes matériels – Le billet de Jean-Marc Morandini sur Nikos Aliagas – pourquoi est-ce qu’il a choisi une photo avec une tête aussi niaise, je sais que ce n’est pas une flèche mais quand même, on dirait le responsable du rayon téléphone mobile d’Orange dans la galerie marchande du carrefour de Dunkerque-Nord – Elodie Gossuin, je suis devenue l’égérie du coiffeur Lucie Saint-Clair, le titre de miss m’a aussi permis de me lancer en politique – Bokassa, oui, voilà une politique-spectacle qui au moins valait le détour, ce qu’elles sont laides ces deux vieilles qui me fixent, je suis sûr que celle de gauche porte une perruque, et l’autre aussi peut-être, ce doit être les représentantes de l’amicale du rayon X qui sortent du scanner pour craquer leur dernier dentier dans un dernier chapon – Mieux consommer : où trouver des vêtements certifiés équitables – dans ton cul sûrement, bientôt va falloir se promener en pagne tressé par un manchot avec leurs conneries, et bouffer des graines de cactus moisies du Pérou pour soutenir des cul-terreux qui gagnent que dalle, et pour cause, même les lamas veulent plus grignoter leur brouet que le marchand bio me revend à prix d’or – Le commerce équitable a été inventé par un prêtre-ouvrier hollandais Frans van der Hoff – ah ben cela ne m’étonne pas, c’est bien un truc de puritain, ils voudraient que l’on se promène tous en robe de bure et que l’on se flagelle le dos pour se punir de nos péchés d’orgueil, il a vraiment la tronche horrible du cureton batave à lunette Derrick, ça devait l’exciter, ce malade mental, d’aider des petits garçons bronzés et nus et purs – Lucien Boyer, pdg d’Havas Sport : vers le sport durable ; Jean-Louis Etienne, représentent de SOS Pingouins : ce qui se joue à Copenhague est passionnant – non mais c’est pas possible cette propagande, à chaque page la même doxa, le même bourrage de crâne perpétuel, moi je dis aux humains arrêtez net de respirer et cela fera des économies de CO2, de papier, de magasins bio, d’Etienne, de Boyer, de Gossuin, de Morandini… – Mes chansons naissent par hasard d’un cri enfui comme un murmure explique Virginie Seghers – et celle-là à côté, elle doit avoir dix ans et elle pianote déjà sur un Blackberry alors que je traîne mon Nokia antédiluvien qui me demande le code pin dix fois par jour, pff voilà où j’en suis rendu, à lire ces conneries dans un four crématoire déguisé en métro avec des vieilles chauves qui me lorgnent et des fillettes geek qui me narguent, ah non, tiens, ce n’est pas une enfant c’est une naine…

jeudi 3 décembre 2009

Dieu pense comme moi, et inversement

Nicholas Epley, qui est prof à Chicago, a mené sept études sur des croyants. En l’occurrence des croyants au dieu abrahamique, surtout des chrétiens. Il examine comment ces croyants projettent leurs convictions personnelles sur d’autres personnes, connues ou inconnues, et sur dieu. Epley a fait des études simples, comme des sondages, d’autres plus compliquées, comme des sondages après manipulation discrète de l’opinion du croyant ou des études par imagerie cérébrale. Et donc, il ressort de tout cela que le croyant et dieu pensent souvent la même chose, sur des sujets comme l’avortement, la peine de mort, le divorce, etc. C’est-à-dire que le croyant prête à dieu des convictions sociales, morales, politiques très similaires aux siennes.

Quand on lui demande d’imaginer ce que dieu en pense, ce sont les circuits cérébraux de sa propre subjectivité qui s’allument chez le croyant, pas les circuits de l’empathie utilisés pour se mettre à la place d’un autre. J’aime bien ces études d’imagerie cérébrale, avec leur petit côté voyeur, violation de l’intimité, impossibilité de dissimuler par la parole ce que les neurones produisent réellement dans l’esprit. Enfin j’aime bien dans le cadre d’expériences volontaires, il ne faudrait pas que cela tombe entre toutes les mains et sous toutes les lois. Vous imaginez si les assistantes sociales, huissiers, juges, mandataires judiciaires m’avaient collé un scanner sur le crâne, observant ma parfaite indifférence neurale, tandis que je prenais un air consterné et concerné capable de fendre l’âme d’un mur de prison ?

Pour revenir à nos moutons électriques, il n’y a pas à chier, dieu est vraiment un virus efficace. Si par malheur il rentre dans vos neurones, ce sera difficile de le déloger, il va coloniser toutes vos représentations du monde. C’est peut-être une question d’économie d’énergie. À part certains mystiques, qui surchauffent de la cervelle, dieu est plutôt un alibi de la paresse intellectuelle, une clôture causale à moindre frais : vous avez perdu un être cher, souffert d’un dilemme moral, chopé une sale maladie, assisté à un drame, pas compris un événement important… une explication par dieu sera simple, efficace, vous pourrez penser à autre chose ou ne penser à rien, vous n’aurez pas à vous creuser les méninges, à vous perdre en conjectures, à vous épuiser en hypothèses.

Dieu explique, et cette explication divine apporte bien sûr un certain réconfort, une certaine puissance : on a pigé, les autres ont tort, plus ils prétendent avoir raison et plus ils sont dans le tort. Pas de doute on a vraiment pigé.

Voilà pourquoi il y a tant de croyants dans le monde. De manière générale, voilà pourquoi il y a tant de convictions, si peu de réflexions. Parce que dire « telle est ma conviction intime, profonde », religieuse ou non, cela revient souvent à dire : voilà ce que je crois, je n’ai pas vraiment envie d’en parler ni d’en débattre, vous pourrez dire ce que vous voulez je ne changerai pas d’avis. Et en effet, quand on est avec un croyant, mieux vaut parler d’autre chose que sa croyance.

mercredi 2 décembre 2009

Tic tac

Mon bel équilibre de sommeil établi ces dernières semaines s’est à nouveau rompu, après avoir erré comme un zombie suite à une courte nuit, et m’être couché tôt dans l’espoir de faire un tour du cadran, je me réveille peu avant minuit. Je n’aime pas cela du tout, je suis généralement improductif dans de telles situations. Il faut dire que j’aime anticiper les heures à venir, savoir que je dispose d’un certain temps pour certaines choses. Je déteste l’imprévu, en même temps que je déteste les rendez-vous fixés d’avance, qui m’apparaissent comme d’insupportables bornes dans l’horizon de mes actions. C’est aussi pour cela que je sors si peu, quand j’apprends l’existence d’une soirée trop tard, elle m’agace pour son irruption imprévisible, quand je l’apprends trop tôt, elle m’agace pour son obligation prévisible, de toute façon les soirées m’agacent, elles m’agacent en proportion de leur démographie, les gens rassemblés comme des bancs de moules n’y sont vraiment pas au mieux de leur expression, ils se répandent en commerce rapide, superficiel et vain, des faces et des voix de plus en plus lointaines à mesure que l’heure avance, les deux seules choses à faire en soirée m’ont toujours semblé de se bourrer la gueule ou de draguer, et pourquoi pas de draguer en se bourrant la gueule ce qui est généralement la stratégie des timides, mais comme je pratique désormais peu ces choses-là, eh bien les soirées perdent une bonne part de leurs raisons d’être ontologico-pratiques.

Tout à l’heure j’étais convoqué par le commissaire-priseur, enfin la, c’était une dame, une grande Eurasienne élancée. Elle officie dans un appartement transformé en bureaux près de Drouot. Tout paraît un camaïeu de gris, marron et beige, avec des piles incroyables de dossiers, j’ignore comment les gens peuvent survivre au milieu de tels monticules de paperasse, moi qui nourris une solide phobie du formulaire. Elle a du retard, je lis un polar de Nesbo dans un coin, je me dis que je suis une souris qui va grignoter les papiers, sans doute l’effet du manque de sommeil des visions aussi débiles. Le fait est qu’avec ma gueule mal réveillée et ma tenue 4bis de quasi-clochard pas vraiment céleste, je suis au mieux pour négocier un bon accord. Et de fait, l’Eurasienne jette un œil assez navré sur ma liste de patrimoine mobilier composé pour l’essentiel d’ordinateurs vieillis, de meubles Ikéa des années 90 et de bouquins, beaucoup de bouquins certes, mais les créanciers préfèrent les bagnoles et je n’en ai pas. Elle essaie vaguement d’inscrire l’informatique, puis elle sourit et me dit : « Bon, on laisse tomber, pour moi c’est fini avec vous », je dois juste remplir et signer un papelard comme quoi je ne possède pas de 4x4 et suis hébergé chez un pote, et voilà. J’en connais à la Société Générale qui vont encore hurler de désespoir, je suis bien parti pour les enculer une seconde fois. Enfin, il y a quand même la baraque dont je suis propriétaire en banlieue qui va sauter, et ce ne sera pas une mince affaire, vu qu’il y a encore mon ex incrustée dedans. On verra.

La Banque de France m’écrit, suite à ma liquidation. Je suis à nouveau inscrit dans le fameux code 050, et j’ai aussi la cotation XP. Cette fois, le courrier m’explique en détail ce que signifie ce dialecte bureaucratique. Pendant une durée de trois ans, j’appelle une « attention forte » de mes camarades banquiers et financiers, car j’ai planté ma boîte, enfin mes boîtes. Bon. Cela m’indiffère. Plein de gens pleurnichent lorsqu’ils sont ainsi fichés, moi je trouve cela normal, je ne peux quand même pas planter mes banques en creusant des découverts que je ne remplirai jamais et m’étonner ensuite que les mêmes banques nourrissent quelque prévention à mon encontre. Le délai de trois ans me fait même sourire par sa naïveté, j’ai planté mon premier compte six mois après son ouverture, à l’âge de 16 ans, et mon caractère dépensier n’a cessé de s’affirmer depuis. Mieux vaudrait m’en coller pour trente ans, je doute qu’en dehors des neuropathologies on change brutalement de personnalité pendant la quarantaine.

Il fait nuit, copines Peggy et Natacha sont à Londres, j’ai un rencart demain matin et pas sommeil. Je me fais cuire des œufs cocottes au paprika. Je regarde des photos de Stefanie Schneider et je rêve de Berlin. Dans moins de trente jours j’envahirai la capitale du Reich avec l’armée du rêve.

lundi 30 novembre 2009

Trouble dans le Butler

Le Butler réservé voici deux semaines est enfin arrivé à la bibliothèque et je lis donc la bible de la théorie queer. Plus précisément, je somnole à sa lecture. Il faut dire qu’en vieillissant, je comprends de moins en moins la philosophie. J’entends : le sens de l’exercice philosophique. Je lis des mots compliqués, des tournures abstraites, des systèmes biscornus, des constructions bancales, des démonstrations incomplètes, des assertions arbitraires. Peut-être ai-je trop baigné dans la science, son économie de mots et son attachement aux faits, pour apprécier encore l’emphase sinon l’enflure philosophique, évidemment aggravée par le fatal « tournant linguistique » ayant conféré au langage humain de puissantess propriétés dont il est à mon humble avis dépourvu. C’est particulièrement marqué dans toutes les métastases de la French Theory – le mot théorie étant assez beau, j’aurais tendance à préférer le syntagme French Fumistery. Quand les pompeuses déconstructions postmodernes rencontrent les interminables débats entre sous-courants du féminisme, comme chez Butler, le charabia creux à forte charge sectaire atteint son acmé. Mais en disant cela, je ne fais pas tout à fait justice au sentiment que j’éprouve à ma lecture, on pourrait croire après tout à une simple charge poujadiste. Le problème n’est même plus de savoir si les propositions sont vraies ou fausses, si leurs rédacteurs ont tort ou raison, plutôt d’observer que ces auteurs formulent des discours sur des discours, et non pas sur la réalité, que tous ces gens dont parlent Butler (ou qui parlent de Butler) semblent éminemment satisfaits d’évoluer dans ce monde bizarroïdes de mots clos sur eux-mêmes, orphelins de tout référentiel, tournant et retournant dans la prison de quelques cerveaux universitaires semblant encore y accorder sens ou croyance, débouchant parfois d’un seul coup sur des propositions politiques radicales sans que l’on ait le moins du monde compris les tenants et aboutissants intellectuels d’une telle urgence réformatrice. Que l’on parle des femmes, des hommes, des trans, voilà qui m’intéressent grandement ; que l’on construise des systèmes mysticoverbeux dont les femmes et les hommes et les trans réels sont absents, essentiellement remplacés par un échange à distance avec Lévi-Strauss, Lacan, Derrida ou je ne sais quel fantôme du pays du verbe magique, des systèmes qui ne m’apprennent rien sur une réalité que j’ignore pourtant, des systèmes qui paraissent juger superflu de collecter ou rapporter patiemment des faits et de bâtir là dessus quelques hypothèses, démonstrations ou conjectures humblement ouvertes à la critique, préférant le triomphalisme trop visiblement idéologique de celui ou celle qui entend d’un tournoiement de baguette magique révolutionner notre approche des choses, voilà qui m’indiffère totalement. Comparez dix pages de Butler et de Califia, vous comprendrez tout de suite mon propos.

Et sinon,  pour revenir à des éléments plus essentiels à la vie de nos cellules, je vous conseille vivement de goûter la miche de pain de campagne aux noisettes que l'on trouve dans les Monoprix parisiens, au prix raisonnable de 1,90 euro, miche que je dévore présentement avec les excellents carrés Sylphide à 7,5% de matière grasse – enfin excellents, entendons-nous, ce n'est pas un vieux Cantal hospitalier aux vers ni un Epoisses généreux en marc de Bourgogne, mais pour les adeptes de l'allégé, c'est fort comestible, et de surcroît ces carrés Sylphide s'ouvrent mieux que leurs concurrents Bridelight.

dimanche 29 novembre 2009

Mais il est plus beau de contempler les ruines des humains


Même si j’ai pratiqué une certaine restriction alimentaire, surtout pour des raisons de pauvreté, je n’ai pas non plus appliqué à la lettre mon programme pures protéines cette semaine – pour tout vous dire, j’ai même dîné une fois au Quick et une autre fois au McDo, parce qu’il était tard et que je n’avais rien dans le frigo, je me suis bien gardé de m’en vanter cependant. Eh bien figurez-vous que copine Terraillon ne m’en veut pas : j’affiche en milieu d’après-midi un triomphal 65,5 kg, avec un misérable 9,9% de matière grasse. Je remercie les Fruit’n fibres dont la violente vidange n’est sans doute pas étrangère à cette minceur admirable (…ni aux maux évoqués tantôt). Pour fêter ma légèreté retrouvée, et comme le jour décline, je sors faire une dernière fois le tour de la brocante. Bingo ! Un vendeur frigorifié finit par me céder à 8 euros une poupée défoncée. Cette chute brutale des prix ne change rien à mes nouveaux projets baltes – de toute façon, j’ai de plus en plus envie de voyager et de rattraper le temps perdu d’une existence jusqu'alors sédentaire.

Malade imaginaire

Hier, d’horribles brûlures d’estomac m’ont plié en deux au Franprix, j’ai cru que j’allais m’évanouir au milieu des tomates. Un peu de charbon, une ratatouille et un bout de Lexomil qui traînait dans un coin m’ont fait du bien. Je psychosomatise facilement, raison pour laquelle un calmant potentialise chez moi n’importe quel traitement organique. Je me souviens d’un jour – c’était précisément à la brocante d’été, raison probable pour laquelle sa consœur hivernale fait resurgir le souvenir –, d’un jour donc où j’avais d’atroces douleurs aux côtes et à la poitrine, je crois que je m’étais vaguement battu la semaine précédente dans un moment d’ivresse, et cela ne passait pas, j’étais bloqué. Je rentrais chez moi un dimanche et j’avais tellement mal, j’étais tellement essoufflé, je me sentais si vieux et si misérable que l’idée m’est venue qu’il s’agissait peut-être bien d’un infarctus. Mon frère en avait fait un peu avant, alors que son mode de vie est irréprochable, et je me voyais la prochaine victime de ma lignée pourrie de prédispositions morbides. À peine m’étais-je convaincu de ma défaillance cardiovasculaire que tous les symptômes s’en sont aggravés, je frôlais le malaise vagal, je nageais dans les suées d’angoisse, je posais ma tête incertaine sur les murs froids de la rue. M’étant traîné pitoyablement jusqu’à mon appartement et affalé sur le canapé, j’ai composé dans ce que je croyais être mon dernier souffle le numéro de SOS médecins. Dans la demi-heure qui suit, un sympathique toubib s’est pointé et l’électrocardiogramme a révélé l’état tout à fait normal de mes diastoles, systoles et autres mouvements ventriculaires. Eh bien quelques minutes plus tard, je me sentais déjà guilleret et le surlendemain, les douleurs avaient disparu. De cet exemple parmi bien d’autres, je déduis que mon cortex tend à disjoncter dès qu’il reçoit un signal d’alerte d’un point quelconque de mon organisme. Du moins à certains moments critiques. Car à côté de cela, je ne suis pas vraiment hypocondriaque, je nourris même une indifférence globale à ma santé. Ce sont plutôt des bouffées isolées d’une irrépressible angoisse, impossible à raisonner – et dieu sait que je suis pourtant raisonnable, sinon raisonneur.

samedi 28 novembre 2009

Rêve de Riga


Brocante d’hiver dans mon quartier, sous la pluie et le vent. Les tenanciers de stand font un peu la gueule, mais le principal problème à mon sens n’est pas la météo, plutôt leurs prix exorbitants. Juste en bas de chez moi, une jolie poupée ancienne prend l’air, elle est nue, à demi défoncée, dotée d’un ventre rond et d’une tête sinistre comme si elle flottait dans un canal du Nord. Modèle parfait pour mes divers projets photo. Mais la propriétaire m’en réclame… 300 euros !

J’en nourris un certain agacement, et je conçois surtout un plan alternatif : passer une semaine à Riga au prochain printemps. D’abord parce que l’été dernier, je n’avais fait que traverser cette ville pour rejoindre l’Estonie, et que cette traversée m’avait plu. Ensuite parce que dans les « Antik » des pays baltes, vous faites des affaires autrement plus intéressantes que dans les brocantes parisiennes, le taux de change étant favorable à l’euro et surtout la folie inflationniste n’ayant pas gagné les brocanteurs estoniens, lettons ou lituaniens. Pour les 300 euros que la rombière spéculatrice d’en bas me demande pour sa breloque, j’ai de quoi me payer le billet d’avion aller-retour et même en surcroît quelques nuits dans un appartement. Je vais donc tâcher de convaincre copine Natacha, copain Stéphane et copine Peggy de l’urgente nécessité de passer les Pâques au pays de l’ambre.

Comme je n’ai pas une flèche et que le providentiel RSA ne tombe que la semaine prochaine, je me contente de quelques minuscules poupons déglingués, eux aussi ont un petit quelque chose de la banlieue de Béthune.

vendredi 27 novembre 2009

La comédie de Copenhague (un aparté climatique)

Avec le prochain sommet de Copenhague consacré au climat, la section verdâte de l’internationale pleurnicheuse est en ébullition, et cela ne va pas se calmer. Il faut s’attendre à une avalanche de complaintes catastrophistes sur les glaces qui fondent et les ours qui bronzent, les mers qui montent et les forêts qui sèchent. Cette affaire climatique, sur laquelle j’ai pas mal travaillé jadis, restera dans les annales comme  une étonnante étape de la manipulation massive de l’opinion mondiale, et un nouvel exemple des dévoiements de la science quand elle se laisse embrigader dans les états d’urgence plus ou moins factices propres à la classe politico-médiatique. Et maintenant que tout cela est devenu un business, cela ne va pas s’arranger du côté de la rigueur et de l’indépendance des labos. Une bonne nouvelle au moins : le chouette Hulot s’est complètement planté au box-office, et il faudra les droits TV de Canal+ et de TF1, c’est-à-dire du cœur industriel de la société du spectacle, pour sauver le Syndrome du Titanic du spectre dont il nous menaçait, à savoir le naufrage.

On annonçait voici quelques jours que près d’un milliard d’humains sont en état de sous- ou de malnutrition, on sait que cinq milliards d’humains tirent la langue quand une minorité seule profite pleinement de la globalisation, mais les lunettes déformantes de l’environnementalisme militant et du sentimentalisme irénique sont parvenues à convaincre tout le monde, ou du moins la bien-pensance occidentale habituée à penser bien à la place de tout le monde, que quelques misérables (et bénéfiques) dixièmes de degré de hausse en cinquante ans formaient une absolue urgence, que le sort des arbres en 2100 mérite plus d’attention que celui des enfants en 2010, que les énergies fossiles dont les plus riches ont usé et abusé pendant deux siècles devraient être restreintes pour les plus pauvres, sans doute condamnés à bâtir leurs écoles, leurs usines et leurs hôpitaux avec quelques éoliennes si gentiment vantées par les bonnes âmes de la fondation Hulot.

Et sur un plan plus scientifique, même si j’hésite à utiliser cet adjectif, le même alarmisme médiatiquement auto-entrenu et écologiquement auto-recylé a réussi à persuader les gogos que des modèles incapables de simuler le comportement de la vapeur d’eau et des nuages, incapables de connaître les conditions initiales du couple atmosphère-océan vu la rareté et la médiocrité des données un peu anciennes, incapables d’estimer le forçage (et de paramétrer même les émissions passées ou présentes avec précision) des aérosols naturels et artificiels, incapables d’intégrer les effets exacts des variations solaires, incapables et pour cause d’anticiper l’évolution de la biomasse et donc des échanges carbone, incapables dès lors de produire des fourchettes globales de température ne s’écartelant pas d’un facteur trois ou des prévisions locales (les seules qui intéressent le réel) ne se plantant pas complètement, des modèles médiocres donc, certes plus élaborés que les modèles simplistes EBM déjà produits voici 30 ans mais reproduisant exactement les mêmes résultats avec exactement les mêmes incertitudes car aucune contrainte nouvelle n’est apparue en trois décennies, des modèles s’adressant de surcroît à un système complexe sinon chaotique,  peuvent raisonnablement produire l’évolution des forçages radiatifs, du bilan énergétique et des température de surface sur un siècle, et conséquemment aider un Borloo à prendre ses décisions lorsqu’il a sifflé ses cinq pastagas.

Le plus amusant (quand je suis de bonne humeur) dans cette affaire climatique est le manque total de recul sur quelques évidences de bon sens, surtout quand vous en discutez avec un fanatique des causes verdâtres, ou un bobo vaguement converti à cette nouvelle forme molle de la bonne conscience édifiée sur une mauvaise science. Par exemple, un simple regard sur une carte du monde montre que les pôles sont déserts et les zones intertropicales surpeuplées, parce que l’humain descend de primates des pays chauds et qu’il cherche toujours cette chaleur de ses origines. Nous devrions être terrifiés par deux ou trois degrés de hausse sur un siècle, bien que les vacanciers et les retraités se précipitent en casquant une fortune vers des zones où il fait facilement 10-15 °C de plus que chez eux. Plus simplement encore, quand vous habitez une ville, il fait selon les lieux, les jours et les saisons 2 à 8 °C de plus que dans la campagne située à quelques kilomètres (là où l’on mesure censément les températures officielles), et cette variation supérieure à celle que l’on nous promet pour les calendes grecques n’empêche évidemment pas une part croissante de l’humanité de migrer vers les zones urbaines déjà fort chaudes, parce qu’elle y vit globalement mieux et plus longtemps.

jeudi 26 novembre 2009

Agonie haut débit

Un rendez-vous au Centre national de génotypage ce matin, à Evry – une préfecture qui concourt avec Créteil et d’autres pour la palme de la laideur, dire que ce béton décomposé et sale des villes nouvelles, entrecoupé des nouveaux bureaux de verre en immeubles impersonnels, a été synonyme de progrès. Dans le Centre, des machines dernier cri ronronnent sous les néons blanchâtres éclairant toutes les paillasses de France et de Navarre ; elles crachent à haut débit les séquences de génomes ou d’épigénome de tissus accumulés dans les biothèques, ici la tumeur de tata Simone, là le cancer de pépé Robert, toutes ces agonies individuelles devenant des alignements de bases chimiques dans le traitement statistique des grandes cohortes.

Je profite de ce nouveau voyage en banlieusie pour achever Das Kapital, de Viken Berberian. Sans casser des briques, cela se laisse lire, un peu comme 99 francs de Beigbeder, sauf que le personnage central est trader plutôt que pubard. Je l’oublierai cependant plus vite qu’un Bret Easton Ellis. La critique romanesque du capitalisme postindustriel n’est pas un exercice aisé, peut-être parce que ce capitalisme a déjà produit sa propre représentation spectaculaire, de sorte que le trait tire vite à sa caricature et que cette caricature même est plate malgré tout, déjà un peu en retard sur le réel, de toute façon recyclée dans le flux.

Mes retours de bibliothèque arrivent à échéance, et ils sont dispersés dans trois points de Paris. J’ai la mauvaise idée de m'y rendre aux heures de pointe, bus 20 et 96, métro 4 et 14. Si je ne développe pas l’H1N1 dans les trois jours, c’est que je suis immunisé. Dans DirectSoir, Séguéla explique au bon peuple qu’Internet va trop loin, qu’il faut l’encadrer, que le bon usage des libertés passe par la censure, et caetera. Dingue comme les mêmes discours reviennent et reviennent, sur Internet et sur le reste, l’humain bavard ferait mieux de rationaliser ses désaccords de fond et de les réduire à leur plus simple expression, et de passer à autre chose au lieu de palabrer ainsi. Le visage lifté et ultraviolettisé du représentant de commerce de chez Rollex m’inspire un vague dégoût. A moins que ce ne soit le premier symptôme de ma contamination dans les chaleurs surpeuplées et souterraines.

Ma nouvelle coloc'


mercredi 25 novembre 2009

Léger, léger, léger !

La nuit fut courte, environ six heures, mais continue, et je me réveille ce matin en meilleure forme que les jours précédents. Direction le mandataire judiciaire, quelque part en Val-de-Marne. Le timide soleil du matin lèche les immeubles hausmanniens, je suis bien dans cette lumière diffuse. Le RER me plonge dans une banlieue nettement moins agréable. 20 minutes d’avance, comme toujours dans ces vastes zones où tout paraît loin et où l’humain passe une bonne part de son temps à cavaler d’un point à l’autre. Pas un rade en vue dans le boulevard, je marche tout de même pour en dénicher un. Je passe devant un cimetière, le carré militaire est impeccablement ordonné, parallèles et perpendiculaires implacables, jusque dans la mort aucun ne sort du rang. Le cimetière civil à côté est aussi très strict, avec ses allées taillées au cordeau. Je pense aux cimetières de Pologne et des pays baltes, bien plus anarchiques, avec de l’herbe et des tombes posées de-ci de-là, ce désordre est plus plaisant pour le visiteur, et ne change pas grand-chose pour les habitants.

L’heure de mon rendez-vous arrive enfin et je me pointe, l’entrée de l’immeuble se confond avec celle du parking, grille verte sur béton gris. On me dirige vers la salle d’attente parfaitement fonctionnelle, où je m’abîme dans la contemplation d’un tapis beige dont les motifs sont des petites barres grises et marron. Le designer devait être un Suédois suicidaire, son tapis est aussi triste qu’un jour sans pain. Mon interlocuteur vient enfin me chercher, et je me demande s’il ne bosse pas dans le cimetière à côté : grande silhouette à costume gris, visage gris, cheveux gris, il découpe peut-être ses costumes dans ses tapis, je le vois bien en train de fixer d’un air neutre les familles en pleurs pendant que l’on jette sur le bois du cercueil les premières mottes de terre. Mais une fois dans son bureau, cette grande et grise silhouette révèle un homme tout à fait affable et attentif à mes problèmes. Qui me donne LA bonne nouvelle du jour, de la semaine et même de l’année : c’est désormais lui qui prend en charge la totalité de mes dettes accumulées depuis dix ans, qu’elles soient professionnelles ou personnelles. Je n’en reviens pas. Je sors allégé d’un fardeau décennal, et les nuages se souviendront que je marchais tout près d’eux ce jour-là.

mardi 24 novembre 2009

Comme un animal séparé des hommes


Jour d’ennui. Mon compagnon de ces périodes d’infortune exprime bien cette situation où l’on s’éprouve «comme un animal absolument séparé des hommes» : «Je suis une fois de plus froid et insensible, il ne me reste que mon amour sénile pour le repos total» (Kafka, Journal, 30 novembre 1914).

lundi 23 novembre 2009

Victime du génie microbien

Vers 2h00, j’ai dû m’endormir péniblement. Et vers 2h45, j’ai été réveillé par ma première quinte de toux, une toux sèche, de celles dont l’irritation ne vous laisse aucun répit et qui déclenchent quinte après quinte. Pas de sirop, j’ai donc passé à peu de choses près ma nuit à tousser et à errer pour boire des verres d’eau sans grands effets. Au cours de cette insomnie tussive, je songeais au génie des microbes. Qui ont inventé la toux. Celle-ci permet en effet au virus ou à la bactérie logé dans mon organisme d’être expulsé en grande quantité dans mon environnement, donc de contaminer des proches, donc de se reproduire dans ces hôtes malchanceux. Chacune de mes quintes sonne ainsi comme le triomphe de ces vies élémentaires qui, pour être dépourvues d’intelligence au sens où l’homme l’entend, n’en sont pas moins inventives.

Je traverse la journée comme un zombie, en nettement moins bonne forme que ces microbes profitant de mon hospitalité. Je repousse autant que je peux la sieste, histoire de ne pas me décaler de nouveau alors que j’ai péniblement réussi à éviter les nuits entières passées à bronzer au clair de lune. En même temps, la carence de sommeil me vide l’esprit et me rend à peu près incapable d’écrire.

Je ferais bien quelques photographies, qui demandent de la concentration mais permettent une certaine agitation hypnofuge. Hélas, ma maudite imprimante est bloquée par le défaut de deux cartouches d’encre et alors qu’il en reste quatre sur six, bien suffisantes pour le fond en noir en blanc nécessaire à ma composition, elle refuse obstinément d’imprimer quoi que ce soit. Et l’argent me fait défaut. Le seul avantage de la situation est finalement que le manque de sommeil entraîne, chez moi du moins, un manque d’appétit : cette première journée de ma semaine protéine pure n’est pas trop longue à passer pour mon estomac. Après-demain au petit matin, je suis convoqué en banlieue chez mon liquidateur. Espérons que les nuits seront meilleures, sinon j’aurai du mal à produire la moindre explication cohérente de l’état désastreux de mes finances.

dimanche 22 novembre 2009

Opéra pour les hommes qui passent


J’arrive tard à l’hôpital. Enfin non, pas si tard, 18h15, mais il fait déjà noir et le hall est désert. Des guirlandes précoces décorent les poutres et les baies vitrées. Le résultat est réussi, c’est-à-dire sinistre à souhait. En parcourant le chemin qui mène à l’aile B, j’avise de grands panneaux dont les images montrent un danseur tournant autour d’un petit vieux qui tremblote dans son fauteuil roulant, un violoniste jouant de l’archet devant une petite vieille édentée et probablement sourde, d’autres scènes encore. Un vaste laïus commente en long, en large et en travers la performance humanitaire. Cela s’intitule «l’art, ensemble». On y dit que «le soin, c’est une relation humaine», que l’hôpital est «un lieu à fort potentiel d’échanges et d’enrichissement». À ma grande surprise, ce n’est pas sponsorisé par les pompes funèbres générales, mais par un cabinet d’assurances. Ma vessie nourrie au café depuis ce matin me tire de ces rêveries fielleuses, et je vais pisser dans les toilettes pour handicapés, désertées comme le reste.

Le clostridium rôde toujours par là, me prévient l’infirmière du soir. J’enfile gant et surblouse. Mon père est dans le noir. Il démarre pourtant au quart de tour quand j’allume, longtemps que je ne l’ai pas vu aussi volubile. Il essaie d’exprimer plein de choses, mais je n’y comprends évidemment rien. Il est notamment question d’un « opéra » pour « les hommes qui passent ». J’acquiesce. Quand je lui dis que j’ai amené un flan, il répond illico « ben oui donne, donne, ça m’intéresse, donne ça », et quand je lui donne, il s’en saisit à pleines mains, s’en bâfre et en fout partout. Je l’essuie comme je peux, des résidus collent à l’oreiller et aux couvertures. Il est content, il en voudrait encore. Son hyperphagie est probablement malmenée par les microdoses des repas hospitaliers. Je l’observe, il a l’air de calculer plein de choses. Sa main gauche s’enroule dans le drap, il frotte longtemps ses cuisses et sa couverture comme s’il avait un gant. Puis cette main vient vers moi pour me toucher, me tâter plutôt, je lui demande pourquoi, j’ai déjà oublié sa réponse vide de sens. Il s’énerve un peu et commence à attraper des deux mains la barrière de sécurité du lit. Ils ont sans doute baissé la dose des calmants, c’est pour cela qu’il a un surcroît d’énergie, et qu’il va finir par péter son lit. Alors on lui recollera du tranquillisant. Patience, cher personnel médical, quand les plaques bêta-amyloïdes gagneront du terrain, il finira aussi calme qu’un parterre de salades vertes.

samedi 21 novembre 2009

vendredi 20 novembre 2009

Les pieds sur le canapé

A la demande de copain Jean, qui ne le trouve pas dans son bled de banlieue, j’ai acheté CB News à la maison de la presse voisine. CB cela veut dire en l’occurrence Communication & Business, je crois qu’il faut prononcer cibi niouse. A l’américaine vous voyez. Le contenu est navrant, surtout les photos. Sur l’une d’elles, on voit deux mecs qui ont fondé une agence de conseil média, ils posent sur un canapé genre « on est cool, on n’a pas de cravate », il y en a un qui est avachi avec le petit sourire éternel du premier de la classe des beaux quartiers, l’autre qui dans une suprême manifestation de coolitude est carrément perché sur le dossier du canapé, dans une posture pas tellement naturelle pour le commun des mortels, les pompes reposant sur le tissu blanc du siège, je me dis que j’irai pas poser mon cul dans leur salle d’attente, leurs canapés doivent être dégueulasses s’ils marchent dessus toute la journée.

Le monde de la communication, que j’ai fréquenté de ci de là dans ses diverses composantes depuis vingt ans, est composé d’individus assez peu intéressants dans l’ensemble. Je ne sais pas exactement où le communiquant se situe par rapport au journaliste dans mon échelle d’antipathie, mais ils ne sont pas très éloignés l’un de l’autre – je pense que le journaliste moyen est encore plus bas parce qu’il a des pulsions moralisatrices plus prononcées, et que je déteste l’attitude du procureur, du censeur, du distributeur de bonnes et mauvaises notes en général. Le communiquant, donc, a une certaine conscience de caste : dans un monde où la manipulation des textes et des images forme le cœur du pouvoir, il tutoie nécessairement les grands, cette proximité du pouvoir le faisant péter plus haut que son cul. Notre ami des puissants a souvent une espèce de fibre artiste refoulée, de sorte qu’il s’imagine très vaguement rebelle dans le milieu des costards-gris-chemises-bleues entrepreneuriaux formant le troupeau uniforme de ses clients – ainsi le communiquant se permet le cas échéant de ne pas mettre de cravate, de vous regarder avec un petit sourire et de marcher sur son canapé, cela fait partie de son artistitude cool. Il n’a bien sûr rien de l’artiste, et outre sa bonne conscience de révolté intérieur du système, cette contenance sert tout au plus à faire passer un manque navrant de rigueur et de profondeur dans sa production, laquelle consiste en des slides powerpoint adaptés au temps de cerveau disponible du cadre supérieur, c’est-à-dire à peu près vides, et en d’audacieuses « créa » plus vite oubliées qu’elles furent adoptées, car les revenus exorbitants du communiquant se justifient tout de même par le fait qu’il faut invariablement des heures et des heures de réunions, palabres, conciliabules pour changer la virgule d’une base line, le pantone d’un logo ou la phrase décisive de conclusion d’un grand discours stratégique de la direction à destination non pas des masses laborieuses, lesquelles regardent sagement TF1, mais des actionnaires sourcilleux ou autres « parties prenantes », comme l’on dit dans ce jargon décidément très con de ce milieu décidément très plat.

Sur ce, je vais cuire mon steak.

jeudi 19 novembre 2009

Une liaison dangereuse

Cet après-midi, j’ai ressorti copine Terraillon de sous le lit où elle tutoyait les moutons : 67,7 kg. Il me semblait bien que j’avais repris ces derniers jours, il est vrai que je mangeais sans aucune retenue. Ce qui est rassurant est que mon taux de masse grasse reste scotché à 11,2 %, et ma masse musculaire atteint 31,2 kg. Prudence quand même, dès ma côte est remise et que les virus cessent de grattouiller ma gorge et mes bronches, je vais me planifier une semaine pures protéines et pure créatine. Surtout que copain Stéphane s’entraîne de plus belle dans son club de babouin, je l’ai à l’œil. Une petite offensive éclair ne fera pas de mal pour notre différentiel musculaire.

L’événement planétaire majeur paraît que l’équipe de France s’est qualifiée pour la coupe du monde football grâce à une main de son inénarrable attaquant, Thierry Henry. Il doit y avoir matière à réflexion, d’ailleurs France Info se déchaîne dans un pathétique tourbillon de débats, tables rondes, interviews, et commentaires.

À part cela, un type a été condamné à 14 ans de prison pour avoir eu des relations incestueuses avec sa fille. Je trouve que c’est totalement démesuré. D’abord, la prison ne changera strictement rien, il suffirait de lui interdire de voir sa fille (et ses enfants / petits-enfants) si l’on juge cela nécessaire. Cette peine, supérieure à celle que l’on donne en moyenne pour des homicides, relève de la pure vengeance à base émotionnelle. Ensuite, le gars paraît condamné sur des motifs pas très clairs, on parle de « contrainte morale de type sectaire ». Il n’y a pas eu violence physique, ces relations sont le fait de deux adultes et l’inceste n’est pas réprimé comme tel. Donc on se rabat sur l’insaisissable violence morale pour dire que le consentement de la fille était vicié, bien qu’elle ne soit pas par ailleurs frappée d’incapacité à ce qu’il semble. L’avocat de la défense plaidait l’acquittement sur le thème : « la justice n’est pas la morale ». Et il a raison sur le principe, même si je ne connais pas assez les faits. Mais la morale colle au sexe autant que la chtouille, depuis la nuit des temps le contrôle des gamètes est un enjeu central des familles, des tribus ou des États.

mercredi 18 novembre 2009

Encore liquidé

Un œil torve, une peau rougeaude et grumeleuse de saurien, un menton joint au torse épais par une langue de graisse ballottante, deux petites pattes écrasées par l’énorme ventre : lorsque l’individu que j’observe depuis un quart d’heure enfile sa robe d’avocat, j’ai l’impression de contempler une caricature de Daumier téléportée dans notre siècle. Je suis au tribunal de commerce de Créteil, dès potron-minet. Simple formalité : le liquidateur que désigne enfin le juge après deux heures d’attente mènera le bal dans les jours à venir. Me voici donc liquidé pour la seconde fois dans cette année 2009, ce coup-ci en nom propre, c’est-à-dire à responsabilité illimitée.

Dehors j’entends des beuglements et des klaxons : l’Algérie s’est qualifiée pour la coupe du monde de football. Au moins, la connerie n’a pas de frontière. Non pas que je déteste le football comme sport, au contraire le spectacle me plaît assez les rares fois où j’ai une télévision à portée d’œil. Mais la religion du foot avec ses masses braillardes et chauvines, très peu pour moi.

Je lis un bouquin sur le concept de genre, et je tombe sur cette phrase d’Ann Oakley, sociologue féministe, une des premières à avoir théorisé le genre : «On doit admettre l’invariance du sexe tout comme on doit admettre aussi la variabilité du genre».

Ben non, on ne doit rien admettre du tout, cette phrase exprime très exactement l’incompréhension ou la méconnaissance de la sociologie, du féminisme et de la sociologie féministe vis-à-vis des travaux en biologie. Parce que ceux-ci démontrent au contraire la variabilité du sexe. C’est-à-dire : tout ce qui définit le féminin ou le masculin au-delà des organes génitaux sera variable dans une population donnée. Et les organes génitaux eux-mêmes varient d’ailleurs avec les divers troubles du développement sexuels, mais ceux-ci, statistiquement rares, sont généralement placés dans la case pathologie (parce qu’ils provoquent détresse et souffrance chez le sujet concerné, ou bien parce qu’ils ont une comorbidité associée importante).

Deux hommes et deux femmes tirés au hasard n’ont pas de raison d’avoir les mêmes niveaux d’estrogènes ou d’androgènes, pour prendre les hormones. Ou d’avoir la même configuration neurobiochimique. Tous ces paramètres se déploient selon une distribution statistique normale dite de courbe en cloche ou courbe de Gauss. Vous avez donc la Femelle Moyenne (FM) et le Mâle Moyen (MM) dont je parlais l’autre jour, qui représente le gros effectif de la population (le centre de la courbe, en haut), et puis vous avez une variation continue avec des mâles et des femelles s’écartant de cette moyenne (les extrémités de la courbe, allant en s’amenuisant).

Dire que le sexe est invariant, c’est faire comme si les seules valeurs moyennes de la courbe avaient un sens. Un peu comme si vous disiez avec la taille et le poids (qui a la même distribution statistique) : l’humain mesure 1,70 m et pèse 65 kg, c’est un invariant. Du coup, les maigres et les gros, les petits et les grands sont rayés de la carte.

Plus j’y réfléchis, plus je pense que cette notion de genre est une erreur intellectuelle. Elle a été produite par des gens qui souhaitaient opposer inné et acquis, biologique et social, naturel et culturel, alors que ces notions ne s’opposent pas, mais s’interpénètrent de l’ovulation au cercueil. Et comment voulez-vous qu’il en soit autrement ? C’est une erreur plus profonde, une sorte de mystique par laquelle des gens semblent s’imaginer qu’il y a un pur monde des idées, des mots, des symboles, plaqué sur un autre monde des corps, et qu’il y aurait un sens à poser l’autonomie de ces deux mondes. Mais non, il n’y en a pas : les mots, les symboles, les idées sortent et entrent toujours d’un cerveau encastré dans un corps, relié à lui par des milliards de connexions électriques et chimiques.

mardi 17 novembre 2009

Colis perdu et guerre civile

Un colis expédié qui n’arrive jamais, affaire banale. Le gars du bureau de Poste me dit d’aller sur Internet, mais l’interface de réclamation est plantée. Idem pour le numéro d’appel, qui produit un son discordant quand on est enfin mis en relation après cinq minutes d’attente. Quant à l’autre colis, celui que j’attends de Hong kong depuis un mois, la même Poste ne peut rien me dire si je n’ai pas de numéro de traçabilité. En clair, vos colis expédiés et attendus sont on-ne-sait-où, allez vous faire foutre.

En méditant à cela, je me dis que c’est pénible de vivre dans un pays où l’on n’a aucune confiance en autrui, et que ce doit être inversement très reposant de ne pas vivre en régime de défiance permanente. La première idée qui me vient en tête pour mes colis, c’est un truc du genre : « encore un demi-débile mental qui n’a pas su lire l’adresse, ou qui a carrément gardé le contenu pour lui ». C’est peut-être faux, mais le fait est que c’est ma pensée spontanée. De même je pense spontanément, et cela n’a donc rien à voir avec le service public, que mon garagiste va me gruger, que mon assureur va me rajouter une clause perfide, que mon banquier va m’entuber sur les frais, etc. Bref qu’autrui est un antagoniste par principe, une personne fiable ou simplement bien disposée par exception.

C’est une différence que je repère à mille détails dans les pays germaniques et surtout nordiques. Par exemple là-bas, vous arrivez dans une station service, vous vous faites un café dans votre coin, vous ne payez qu’en partant, sur simple déclaration de ce que vous avez consommé. Dans certains coins, on trouve encore les journaux payants en libre distribution, c’est à vous de mettre volontairement la pièce quand vous en prenez un.

Les Français ne s’aiment pas, ils s’aiment de moins en moins. Je vois dans le journal que les violences aux personnes, qu’elles soient sexuelles (très minoritaires) ou non sexuelles, sont en hausse pour atteindre désormais 5,1 % de la population. Une personne sur vingt qui devra subir une agression. La fraternité de la devise républicaine paraît plus artificielle que jamais. Les Français ne s’aiment pas pour des tas de raisons, notamment parce que leur existence collective a été fabriquée par l’État, et que sans cet État gendarme Big Brother ou cet État nourricier Big Mother, ils se foutraient volontiers sur la gueule entre riches et pauvres, provinciaux et parisiens, blancs et noirs, religieux et athées, chrétiens et musulmans, etc. Déjà à l’époque où les groupes étaient plus petits et plus homogènes, la violence et sa conjuration étaient la grande affaire de tous et de chacun, les récits anciens regorgent de guerre, de vengeance, de drame. Alors aujourd’hui où j’ignore tout de mon voisin de palier, en dehors du fait qu’il vole les rares paquets que le postier n’a pas détruits, je ne vous dis pas. On croise les doigts en espérant que la consommation et le spectacle suffiront à endormir les humeurs belliqueuses, à endormir le cerveau tout court dans une anesthésie générale du dernier homme heureux de ne plus penser à rien. Et cela marche, pour le moment, mais il serait bien fou celui qui croit à l’extinction définitive des mauvais instincts. Ils sont juste réprimés transitoirement, prêts à resurgir dès que la situation le permettra, ou même l’exigera pour la survie.

Tout cela pour un paquet perdu, c’est vous dire mon humeur, Soulages pourrait y tremper son pinceau…

lundi 16 novembre 2009

Synapses amorphes

Aussi énergique qu’une limace morte depuis hier. J’espère qu’il s’agit de l’effet secondaire de mon virus pseudo-grippal, de ma côte endolorie et de mes nuits difficiles, et non du commencement d’une de ces lentes, pénibles et irréversibles fluctuations d’humeur qui m’affectent depuis toujours. Le fait est que je n’ai pas goût à grand-chose, et cette écriture même est difficile. Je devais aller voir Blue Velvet avec copains Stéphane, Natacha et Peggy, j’annule car je me sens trop crevé malgré un lever tardif et une sieste agitée.

Impossible d’accrocher à Ndiaye, je doute que ce soit la conséquence de mon syndrome : le style scolaire, les personnages mous, l’espèce de demi-teinte psychologisante qui englue chaque situation me déplaisent. Les femmes puissantes ne l’auront pas été assez pour me retenir plus d’une cinquantaine de pages. Iegor Gran aura eu nettement plus de succès avec son Thriller chez POL.

Copine Peggy apprend ce matin qu’elle sera invitée d’honneur à Poitiers pour un raout sur le post-féminisme, en mars prochain, avec libre choix par elle de la programmation. Bonne nouvelle pour elle, on va bien s’amuser. J’aimerais faire une série d’ici là. Copine Natacha, de son côté, s’est mis en tête de couvrir Paris d’affiches de ses photos, placées en des lieux choisis, pour toucher directement les gens plutôt que les galeries qu’elle a en horreur. Sur le coup, j’ai essayé de l’en dissuader car l’entreprise me paraît dévoreuse de temps et d’énergie, pour un retour assez incertain vu la vitesse à laquelle les affiches disparaissent des murs. Mais c’est peut-être une bonne idée après tout. De toute façon, mon manque de tonus ne me prédispose pas à l’enthousiasme.

Me reviennent des souvenirs d’interminables jours gris où l’ennui succède à l’ennui.

Maudite chimie du cerveau.

vendredi 13 novembre 2009

Vendredi 13, donc

Cette saloperie de crève et cette chiennerie de côte ont brisé mon rythme régulier, depuis hier midi j’alterne des périodes de somnolence agitée et d’éveil abruti. Levé ce matin à 7h après m’être couché à 4h, je me traîne jusqu’au bureau de poste pour envoyer des colis en retard. Sur le chemin du retour, je m’avise que nous sommes le vendredi 13 et j’achète deux tickets de Loto.

Ah je vous vois venir : vous vous dites « ça ne lui ressemble pas du tout, il file un mauvais coton, un virus a bouffé ses synapses ou la porte du métro a dû lui cogner aussi le crâne ». Au contraire, mon acte matinal est très réfléchi et même très rationnel.

Je n’accorde évidemment aucune espèce de vertu chanceuse ou malchanceuse au vendredi 13 ; mais comme une certaine masse de mes concitoyens ne semble pas dans mon cas, la Française des jeux propose un gros lot ce jour-là et pour une mise identique, on peut envisager un gain supérieur. Quant à la probabilité de gagner le jackpot, surtout un jour où tous les superstitieux tentent le coup, je n’ignore pas qu’elle est très faible. Oui mais voilà, elle n’est pas nulle. Or, la probabilité que j’ai de gagner d’un seul coup une grosse somme sans jouer au Loto est quant à elle absolument nulle, remarquablement nulle, tristement nulle. J’ai un métier besogneux, c’est-à-dire que je ne peux gagner beaucoup d’argent qu’en travailant beaucoup, et en tout état de cause ce beaucoup-là n’atteindra jamais les hauteurs des traders ou autres, ce sera toujours un petit beaucoup, pas la pluie d’or où vous claquez des doigts et réalisez vos vœux sur cette Terre sans même songer à compter. Or, cela me fait chier, je ne vois pas trop l’intérêt de travailler comme un dingue pour un confort de vie moyen-supérieur même pas luxueux. Tenter une chance même infime de ramasser le trésor, voilà qui me semble donc la meilleure hypothèse pour mon avenir, en toute rationalité. Un peu comme le pari de Pascal au fond, si je perds, je ne perds pas grand chose (le prix de la grille à 2 euros), si je gagne, je gagne presque tout (la possibilité de dire merde au travail alimentaire, c’est-à-dire à la condition esclave dans le temps hélas compté de mon existence).

jeudi 12 novembre 2009

Comme une odeur de pâté

Si l’on en croit le Monde, Raoult a précisément écrit à Mitterrand : «En effet, ce prix [Goncourt], qui est le prix littéraire français le plus prestigieux, est regardé en France, mais aussi dans le monde, par de nombreux auteurs et amateurs de la littérature française. A ce titre, le message délivré par les lauréats se doit de respecter la cohésion nationale et l'image de notre pays. Les prises de position de Marie NDiaye (...) sont inacceptables. Ces propos d'une rare violence sont peu respectueux, voire insultants, à l'égard de ministres de la République et plus encore du chef de l'Etat. Il me semble que le droit d'expression ne peut pas devenir un droit à l'insulte ou au règlement de comptes personnel. Une personnalité qui défend les couleurs littéraires de la France se doit de faire preuve d'un certain respect à l'égard de nos institutions. C'est pourquoi, il me paraît utile de rappeler à ces lauréats le nécessaire devoir de réserve, qui va dans le sens d'une plus grande exemplarité et responsabilité.»

Dans ce ramassis de conneries, le pire à mon goût est sans doute l’expression «défend les couleurs littéraires de la France» : cela sent à pleines narines sa droite saucisson-rillette-rugby, le plus petit commun populisme des individus n’ayant de la littérature qu’ils prétendent défendre qu’une idée assez lointaine et sommaire, sans doute issue de fiches techniques de leurs conseillers de Corrèze ou d’ailleurs. Raoult a tout à fait le droit de boire un Beaujolais qui tache au Salon de l’agriculture ou de suer des aisselles en tribune de la finale de la Coupe de France, mais que l’épais élu du peuple reste donc sur son périmètre naturel de vie et de représentation, au lieu que de prétendre à quelque lumière en d'autres.

Il n’y a ni devoir de réserve ni devoir d’effronterie, il y a la parole libre, celle de Raoult comme celle de Ndiaye, et tout est dit – sauf à préciser que si tous les Raoult du monde n’éprouvent pas de résistance minimale quand ils expriment leur penchant national-liberticide, il ne leur en faudra pas beaucoup pour faire taire toutes les Ndiaye du monde.

Sinon je suis malade, gorge picoteuse, haleine chaudasse, nez bouché, crâne douloureux, et ma côte broyée par Meteor qui me réveille trois fois par nuit – méchante humeur conséquente.

mercredi 11 novembre 2009

A quoi rêve la rame Météor ?

11 novembre : les thanatophiles déjà excités par la Toussaint en remettent une couche et déposent leur gerbe à l’ombre des monuments aux morts pour la France. On devrait surtout en faire la journée mondiale de la connerie humaine, mais le thème est si vaste qu’il y faudrait plus d’une journée.

À la radio on cause du déclin de la presse et de la métamorphose de l’information. Comme d’habitude, des journalistes pleurnichent sur le sort d’autres journalistes, la plupart survivant non de l’intérêt de leurs lecteurs, mais des perfusions de l’État, c’est-à-dire des contribuables sauvant une presse qu’ils ne lisent plus. Et pour cause : tout le monde vient désormais sur ce blog pour y trouver une information vérifiée, certifiée, sourcée, une information d’une transparence sans équivalent ailleurs – je ne suis même pas dépendant des annonces Google que personne ne clique d’ailleurs, vous pourriez faire un effort, merde.

Cela me fait marrer, le marronnier de la mort du journaliste sur le champ d’honneur de l’information vraie de vraie. Même un chercheur travaillant dans un cadre rigoureusement orienté vers l’objectivité a du mal à produire des travaux libérés de la doxa. Et le journaliste moyen, avec ses trois ou quatre ans de formation dans une école de plouc, sa culture générale à deux balles, ses opinions éclairées sur la marche du monde, ses déterminations de classe, de sexe, de race, de tout ce que l’on veut, ses copinages endogames dans la caste des manipulateurs de symboles, ce journaliste donc, il va nous pondre spontanément de l’information pure et totale, pas déformée, pas biaisée, pas triée ? Mon cul. De toute façon, cette idée même d’information objective n’a pas de sens, à la fois parce que le langage humain est une usine à ambiguïté et parce que le cerveau humain est incapable de se libérer de la subjectivité, laquelle est en dernier ressort l’incarnation d’une pensée dans un certain corps et un certain contexte.

Hier, soirée autour d’un excellent couscous. Le régime Dukan a produit son effet impressionnant sur copain PH, dont la physionomie a changé en même pas six semaines. Loué soit le Grand Maître Cosmique du Son. Copine Sarah nous parle de ses mésaventures dans le domaine éditorial, où copine Peggy a d’ailleurs connu les mêmes, et copine Natacha dans le domaine photographique. Tout cela est assez convergent. En gros, on observe qu’à un moment de la chaîne de décision survient le couperet de la normalisation, généralement à finalité commerciale («c’est super votre truc, mais il faut penser au lecteur / spectateur / etc.», sous-entendu que ce consommateur ultime a besoin de repères bien balisés, de ne surtout pas être bousculé dans ses habitudes mentales, etc.). Une formidable machine à uniformiser.

On parle aussi de sexe, car j’ai lu un bouquin marrant (édité par copine Sarah) sur les perversions féminines au XIXe siècle. Enfin marrant, façon de parler. Figurez-vous qu’il arrivait, rarement mais tout de même, aux médecins de préconiser la clitoridectomie pure et simple pour les jeunes filles ayant le malheur de se masturber trop souvent, masturbation où nos ancêtres éclairés voyaient la cause fatale de toutes sortes de tares et dégénérescences, surtout quand la masturbatrice était pauvre et analphabète. La même France qui colonisait le monde du haut de sa mission civilisatrice charcutait donc la fillette dans ses campagnes, sous le signe du progrès médical et scientifique. Copain PH me précise que les hommes n’étaient pas épargnés par ces folies elles aussi normalisatrices, et que jusqu’au début du XXe siècle, on greffait des extraits de couilles sur les patients homosexuels – les bourses d’un courageux soldat, honnête travailleur et bon père de famille malheureusement décédé étant censées remettre l’inverti dans le droit chemin de la virilité. Effrayant. Il faut que je note tout cela pour mon projet de Pop Sex Manifesto, un futur outil de dénormalisation du corps.

En parlant de corps, j’ai mal partout ce matin car j’ai été agressé hier par un robot, en la non-personne de la rame de métro automatisée de la ligne 14, dont la double porte s’est refermée sauvagement sur ma gueule alors que j’y pénétrais en pensant à autre chose et en ne prêtant pas attention à la stridente sonnerie par laquelle la machine ordonne à l’homme son comportement docile. Cette saloperie m’a cisaillé les côtes, je n’arrive pas à trouver de bonne position pour dormir. Ce n’est pas aujourd’hui que je vais sacrifier aux haltères et au tapis de gym.

mardi 10 novembre 2009

Actualités du vide

Dix ans de procédure pour qu’une femme puisse adopter un enfant, sous prétexte qu’elle vit avec une autre femme. Si elle était maquée avec un mâle moyen aimant le foot, la bière et la bagnole,  il n’y aurait pas eu de problème, on lui aurait filé son petit singe depuis longtemps.

Sarkozy était-il à Berlin le 9 novembre 1989 ? Et dans une publicité Bonux en 1967 ? On en a strictement rien à foutre. Mais pas les médias, qui repassent ces calembredaines en boucle comme s’il s’agissait d’informations de la première importance pour la compréhension du monde.

Le gouvernement fait partout sa retape pour la vaccination antigrippe A, mais les futurs vaccinés ne semblent pas très chauds. Les calculs statistiques des modèles de santé publique, c’est une chose ; le risque de figurer dans les quelques ratés propres à toute vaccination de masse, c’en est une autre. Vous allez au square avec votre singe nouvellement adopté, et vous voyez un panneau : « Ce tourniquet se dérègle une fois sur dix mille et broie les jambes de votre enfant. Amusez-vous bien ». Vous hésitez (surtout qu’il a fallu dix ans pour adopter la chère tête blonde, autant éviter d’en faire un cul-de-jatte).

Tony Musulin embarque 11 millions d’euros et devient une star d’Internet. Ben tiens, un mec qui trouve une solution simple au problème du pouvoir d’achat, ce n’est pas étonnant qu’il soit aussi populaire. Et puis 11 millions pour une banque, ce n’est rien, juste un pourboire, les seuls bonus des établissements américains se montent à 30 milliards cette année.

L’obésité touche 6,5 millions de Français, 3 millions de nouveaux cas depuis douze ans, 14,5% des adultes, nettement moins cependant que les Anglais (27%) ou les Américains (30%). Désormais, le Français moyen mesure 168,5 cm et pèse 72 kg. Comme toujours, les ouvriers et chômeurs obtiennent le palmarès, surtout s’ils habitent dans la région Nord. Ils feraient mieux de lire Dukan au lieu de s’enfiler des fricadelles en regardant passer les cadavres de petites filles dans le canal.

lundi 9 novembre 2009

Lundi c'est l'ennui

Vanné, bien que j’aie beaucoup dormi, peut-être à cause de cela : quand on récupère du sommeil en retard, le redémarrage est difficile.

Ce matin, j’ai dû envoyer onze paquets suite à des commandes Amazon passées depuis samedi. Commence à m’emmerder ce petit commerce, c’est bien utile pour des revenus d’appoint, mais cela me prend trop de temps. Et puis cela me stresse, j’aime bien faire alors je passe une plombe à fignoler mes paquets, je suis terrorisé quand je découvre des pages cornées ou soulignées dans les livres que je vends, j’ai peur qu’ils puent la clope et que le client face un cancer du poumon rien qu’en l’ouvrant. À ce que j’observe, les gens commandent beaucoup le week-end. Je suppose qu’ils se font chier, alors ils compensent. La plupart vivent en province. C’est vrai qu’un dimanche en province, il y a parfois de quoi se tirer une balle. Déjà qu’un dimanche tout court ce n’est pas le jour le plus gai, alors quand vous vivez dans la boue avec des voisins mal fringués qui sortent tout rougeauds de leur repas de famille et qui vous regardent fixement avec un air hébété vu qu’ils n’ont strictement rien d’autre à foutre dans leur bled de merde où même les rats se sont pendus, je ne vous dis pas.

On parle partout de Berlin aujourd’hui. Dans les Inrocks de cette semaine, un dossier est consacré à la ville. Il paraît que c’est le nouveau cœur artistique de l’Europe, Paris et Londres sont déclassées. Dans le papier, Cyprien Gaillard, dont j’aime bien les photos et qui vit là-bas, explique : « Je payais 2000 euros à Paris pour rien. Ici, je peux avoir un 180 mètres carrés pour 850 euros, c’est bête mais ça fait toute la différence ». Ce n’est pas cela qui va me donner la pêche. J’ai enfin reçu mon éclairage, je l’ai monté, c’est parfait ; sauf qu’entre cela, et tous les livres que je rapatrie pour éviter la saisie, et toute la nécropole animalière que je bâtis lentement, je ne peux plus faire un seul mouvement sans me cogner.

Le fait est que cette putain de Capitale truffée de bureaux vides est hors de prix, vivement un krach à la mode tokyoïte et des loyers divisés par dix. Vivement aussi que je retrouve des revenus plus conséquents et que je me mette en quête de ce qui me manque toujours, l’espace. Mais ce n’est pas à Paris que je le trouverai. Il paraît que Bruxelles n’est pas chère, mais je n’aime guère cette ville, de manière sans doute injuste je l’assimile à une sorte de sous-préfecture remplie de paysans mal dégrossis et de fatmas marocaines. De toute façon, je crois que je préférerais de la place dans un trou pas trop loin de Paris, comme l’Auxerrois que je visitais hier, un coin où je puisse aller en deux heures maxi dans la semaine, où je puisse passer les week-ends et une partie des étés, où je puisse voir d’immenses perspectives vides et entendre de longs silences, sans trace d’humains, ou alors juste les cadavres d’un tueur en série, un coin d’où je puisse partir aussi vite que je suis venu, car l’overdose de campagne me saisit aussi facilement que celle de la ville, au fond c’est l’idée de pouvoir bouger qui me plaît, plus exactement de ne pas me sentir assigné à telle ou telle résidence par quelque nécessité que ce soit.

La semaine dernière j’ai trop mangé, et je constate aujourd’hui que j’ai du mal à résister à l’envie de grignoter. Je ne me suis pas pesé, j’ai la flemme depuis que j’ai mis la balance sous le lit au lieu de la pièce principale où elle trônait avant. C’est typiquement un problème lié à la place, d’ailleurs. Quand vous vivez dans un clapier, vous êtes obligés de ranger tout dans des espaces prenant le moins de place possible, au lieu d’étaler vos affaires dans les endroits de vos choix, correspondant à vos déplacements naturels. Résultat : soit vous oubliez ce que vous avez planqué dans un coin, soit les mille petits efforts nécessaires pour en user quotidiennement vous fatiguent, et vous finissez par laisser tomber. Enfin bref, il faut que je surveille mon alimentation, je retrouve une impression de lourdeur que je n’avais pas connue depuis longtemps.

En prévision de ma nouvelle résolution d’abandon de la clope, je tente des minisevrages d’une heure ou deux… et c’est horriblement difficile, cela me met très vite à cran, même avec la pipe en renfort. Je me demande si je ne devrais pas cesser juste avant Berlin : lors de la semaine là-bas, je n’aurai pas mes habitudes comme ici et je bougerai beaucoup. On verra. Là, je vais me poser sur le canapé, lire le beau livre sur Sarah Moon que j’ai acheté en fin de semaine dernière, laisser librement flotter mon esprit dans les volutes de fumée.

dimanche 8 novembre 2009

Dans la patrie d'Emile Louis...

Dans la patrie d’Émile Louis, les masques de catcheurs font des clins d’œil aux sous-vêtements racoleurs. Dans la patrie d’Émile Louis, des chemins s’enfoncent dans les bois où des pierres s’assemblent en tombes. Dans la patrie d’Émile Louis, des femmes au regard figé cherchent leurs seins de calcaire tendre. Dans la patrie d’Émile Louis, à quatre-vingt-douze minutes de Paris, il flotte à travers la jolie lumière d’automne comme un parfum de pourriture.


samedi 7 novembre 2009

Mais que se passe-t-il donc à quatre-vingt-douze minutes de chez soi?

Je discute avec mes enfants et j’observe que l’on n’est pas trop d’accord. On dit que l’être humain est fait pour coopérer, et c’est en partie vrai. Mais cette coopération reste très sélective. On arrive à coopérer dans des petits groupes comme les familles ou les entreprises, et encore on se fout souvent sur la gueule même à ce niveau microscopique. Alors pour des groupes plus larges, faut pas rêver. On n’a pas vraiment les mêmes besoins, les mêmes envies, les mêmes désirs que ses voisins. Ni même que ses enfants ou ses parents, sur des tas de sujets on s’entend potentiellement mieux avec des inconnus qui partagent probablement nos vues qu’avec des proches qui ne les partagent certainement pas. Donc on peut convenir à la rigueur de quelques règles basiques de co-existence, comme ne pas s’entretuer, mais aucune chance que l’on possède au final le même idéal de vie individuelle ou de vie collective.

Ce qui m’épate toujours chez les politiciens, les prêtres et autres porte-parole d’un groupe, c’est qu’ils arrivent à faire semblant d’ignorer cette évidence. Ils parlent comme si tout le monde pouvait ou devait un jour être de leur avis, alors que ce ne sera jamais le cas, pour de bonnes ou mauvaises raisons peu importe. Le (non) débat à la con sur l’identité nationale a pour arrière-plan que l’on devrait au moins tous se retrouver sur cette question identitaire, qu’il y aurait un sujet consensuel dépassant tous les clivages et gna gna gna. Mais non, cela n’existe pas, ni le pantin national ni le guignol républicain ne font illusion, cela donne envie de gerber tellement c’est réchauffé, lourd.

Demain je vais à Auxerre, sans raison particulière, juste parce que c’est à 92 minutes de voiture selon ViaMichelin et que j’ai envie de bouger, et mes enfants aussi. Je voudrais bien croiser un hôpital abandonné, un sanatorium en ruine, un asile oublié ou une usine désaffectée pour faire des photos. Dans la cuisine une tête de lapin achève de perdre ses lambeaux de peau.

vendredi 6 novembre 2009

Délinquance sénile et sonore

Je teste le 100 mm macro que m’a prêté copain Stéphane et j’en suis ravi, à 2,8 il fait de superbes flous, comme en témoigne muettement ce nouvel invité de ma ménagerie macabre. Invité qui me rappelle les crocs de la vieille salope croisée plus tôt dans le 96. C’était à l’arrêt du Palais de justice, un groupe de vieux rentre d’une ruade dans le bus par l’arrière, des vieux plutôt bien mis genre Versaillais, dans les tons bleu-vert à Barbour et Burberry, peut-être qu’ils venaient de se pogner dans la Sainte Chapelle, ou alors de lécher le cul serré d’un très cher ami procureur. Le chauffeur leur signale que le bus ne va pas jusqu’au terminus de Montparnasse, mais s’arrête à Saint-Sulpice. Et là, c’est le déchaînement, folie amok chez les rentiers. Un vieux rougeaud à foulard se met à gueuler d’une voix de goret à demi-égorgé, immédiatement accompagné par la vieille pute à collier de perles. Le vieux hurle «On se fout de nous, on se fout de nous, RATP SNCF il faut privatiser, ah oui vivement que ce soit privé, tout ça y’en a marre» et il redescend sur le trottoir et il continue de brailler en tordant son cou gras de droite et de gauche pour prendre la petite troupe de fripés friqués à témoin. Hélas la vieille catin reste avec trois rombières et jusqu’à Saint-Michel, où je choisis de descendre pour éviter de commettre un crime de sang, là voilà qui emmerde encore tous les passagers en pérorant ses conneries poujadistes dont ce joyau «Compatriote, concitoyen, contribuable, compréhensif ça fait quatre fois con et y’en a un de trop», elle est juste à côté de moi, je regarde sa sale gueule chabrolienne de petite pète-sec persécuteuse des huis-clos familiaux, j’ai envie de lui serrer le collier de perles jusqu’à ce qu’elle cesse une fois pour toutes de vociférer à vingt-cinq centimètres de mes oreilles.

jeudi 5 novembre 2009

RSAste !

Loués soient les services sociaux, je ne me fous plus de leur gueule jusqu’à ma prochaine saute d’humeur, promis-juré-craché : le RSA est tombé ce matin sur mon compte. Dans le même temps, La Poste m’inonde enfin de paquets et courriers des quatre coins du monde que j’attendais depuis des jours. Cette profusion soudaine me met d’excellente humeur, on croirait un gosse au matin de Noël. Je commande enfin mon éclairage continu. Et j’achète une jolie petite pipe d’écume dans la foulée. Comme on le voit, ma maigre fortune est consacrée à l’indispensable.

Je l’ai annoncé à copine Peggy en avant-première vers 14 h, je le proclame ici pour conforter ma résolution : je pense arrêter totalement la cigarette (mais pas la pipe) à mon retour d’Allemagne. Une dernière clope à Berlin après 25 ans de combustion continue, à raison de trois paquets par jour, cela aura de la gueule. Mais faudra trouver des ressources pour compenser, notamment les pertes de mémoire, d’attention et de concentration, ainsi que la nervosité. La pipe ne se prête pas à une fumée intensive, elle m’aidera évidemment à conserver une dose de goudron, de nicotine et des trois mille autres substances du tabac. Je n’arrête pas vraiment pour ma santé – voici quelques jours, j’apprenais encore un cancer bronchique chez une personne ayant arrêté depuis 20 ans, alors cela me fait marrer les admonitions douceâtres de Big Sister –, plutôt pour mes économies, et aussi pour changer. Puisque ma métamorphose est désormais engagée. 2010 sera une année zéro, tout un plan d’existence à redessiner.

Coquelet aux lardons et oignons, filet de porc et Saint-Jacques aux poireaux, tiramisu… ce sont quelques-uns des mets délicieux que l’on s’est envoyé l’autre jour chez copine Natacha et copain Stéphane, à l’occasion d’un de leurs shoots sur le régime Montignac, pour un bouquin. J’en ai l’eau à la bouche rien que d’y penser et j’y pense parce que mon estomac gargouille alors que j’écris. Je n’avais pas si bien mangé depuis longtemps. Si je stoppe la cigarette, il faudra que je prenne garde à ne pas compenser par le grignotage ou la ripaille, sinon la route du CORPS de RÊVE va s’achever dans un ravin.

On a regardé Mulholand Drive de David Lynch, et je ne suis décidément pas fan. J’ai vu pas mal de Lynch dans le passé, mais en dehors de Sailor et Lula (vaguement Eraserhead), je ne me souviens de rien. Car en règle générale, dans les phases où je picole, j’écrase rapidement devant la télé, surtout si le film est brumeux. Et Lynch est brumeux. Je le confirme, parfaitement à jeun cette fois. Je ne suis pas sensible au côté trop onirique ou symbolique, dans tous les arts, particulièrement au cinéma, mais cela vaut pour la peinture, la photo ou le roman. J’observe avec étonnement certains lynchiens se creuser la tête pour trouver du sens et des clés là où je ne vois que des pirouettes un peu faciles. Mais bon, je vais continuer pour confirmer ou infirmer ce jugement, Lost Highway et Blue Velvet au prochain programme, en attendant Inland Empire réputé imbitable par les plus patients des herméneutes. Sur grand écran Mac, loin des salles obscures et concentrées, où le moindre chuchotement d’un spectateur, le plus petit machouilement de pop-corn, l’infime froissement de paquet de chips me font regretter d’avoir payé ma place et me donne envie de quitter les lieux en abandonnant une grenade dégoupillée.

Oui, décidément, je dois envisager avec le plus grand sérieux la préservation de la sérénité minimale nécessaire à la survie sociale avant d’arrêter la cigarette…

mercredi 4 novembre 2009

Pop Sex



En ce moment, l’envie me titille d’écrire un essai sur le sexe. Plusieurs en fait. J’aimerais bien expliquer aux gens tout ce que je crois avoir compris sur la question, sans m’emmerder à faire un enième nouveau traité. Car le problème n’est pas le manque d’ouvrages scientifiques, techniques, philosophiques (il y a pléthore), mais la compréhension de base. Valerie Solanas, dont j’ai lu le SCUM Manifesto en m’amusant beaucoup, avait saisi le truc, c’est autrement moins constipant que de lire du Beauvoir, du Butler ou du Marziano.

Le premier truc à piger, c’est que vous n’êtes pas le centre du monde. Cela paraît très simple, mais toute l’histoire de la pensée ou presque a été bâtie par des gens qui n’avaient pas compris cette évidence de base, et qui ont donc écrit des généralités extrapolées depuis leur nombril. Toute phrase qui comporte comme sujet « les hommes » ou « les femmes » ou « la sexualité » est une proposition fausse, à jeter, à oublier, à piétiner. Et son auteur avec. Une grosse nuisance comme Kant, par exemple, a passé sa vie à chier des généralités sur tout ce qui passait dans son esprit malade. Comme cette maladie est répandue chez les penseurs mâles, Kant est très populaire chez eux, tous s’astiquent le jonc en pérorant sur l’humanité, la féminité, la masculinié, la moralité, la saucissonnité, la tampaxité, la crottité, etc.

En fait, on doit visualiser une fois pour toute deux catégories : le mâle moyen MM et la femelle moyenne FM. Moyen signifie ici : dans une population humaine quelconque, vous avez une certaine probabilité que l’individu mâle ou femelle se comporte de la sorte. Notamment toi qui me lis, et qui devrais te demander à chaque minute : en agissant ainsi, suis-je MM/FM ? Et mon pote René ? Et ma copine Valérie ? MM ou FM ne signifie jamais « les mâles » et « les femelles », ni « chaque mâle » et « chaque femelle », ni « tout mâle » et « toute femelle ». En gros, c’est plus ou moins une majorité, rien de plus. L’effet majoritaire est toujours intéressant à connaître, c’est même sûrement nécessaire si l’on veut survivre, mais il n’épuise pas un sujet.

Considérez par exemple la proposition : « les femmes mettent du rouge à lèvres et veulent des enfants ». Si vous êtes une femme, que vous ne mettez pas de rouge à lèvres et que vous ne voulez pas d’enfant, cela vous paraît immédiatement faux, quand bien même vous voyez beaucoup de femmes (une majorité) adopter ce comportement. Et pourtant, d’Aristote à Frinkielkrote, on a écrit des kilotonnes de phrases généralistes dans ce genre. On n’y fait pas attention quand on appartient à la majorité concernée. Ou, plus simplement, quand on est con. Par exemple, un MM ne va pas tiquer quand il entend une connerie du type « les femmes sont plus sensibles que les hommes ». Le MM est interloqué par des choses plus basiques qui le concernent directement, par exemple « t’as une petite bite ». Ou la FM par : « t’es un tas de graisse ».

Donc on peut faire un portrait-robot du MM et la FM. L’un comme l’autre pensent avec leur sexe, c’est-à-dire leurs spermatozoïdes ou leurs ovules, leur testostérone ou leur estrogène, leur cerveau qui a été influencé par cela tout au long de son développement, la société qui n’est jamais faite que d’une masse de corps cérébrés et assemblés. Le MM et la FM sont donc consternants de part en part, ils correspondent grosso modo à leurs clichés, ils font que la société est globalement conservatrice, ennuyeuse, minable, répétitive : le MM est hétéro, il veut baiser un maximum de filles, il a recours à la violence directe ou indirecte, il bande dans les rapports hiérarchiques, il voudrait bien que sa secrétaire lui taille une pipe, il fait chier sa femme à ne jamais faire la vaisselle, etc. ; la FM est hétéro, elle rêve du prince charmant, elle baise mais quand même pas trop surtout après 25 ans, elle fantasme d’être en cloque dans une jolie petite maison de banlieue, elle déprime après sa ménopause, elle fait chier son mec à lui demander si sa nouvelle robe est jolie, etc.

Tout cela ce sont des réalités statistiques (effet majoritaire) appuyée sur des réalités biologiques. Le discours du « genre » vous disant que tout est culturellement et socialement construit, que la constitution biologique des individus compte pour du beurre, c’est de la merde en barre. Vous me mettez la Butler en chambre capitonnée, je lui file de la testostérone à haute dose pendant six mois, je parie dix contre un qu’une fois libérée, elle se mettra à roter, péter, casser la gueule de son voisin à cause d’une histoire de bagnole et chercher partout sa mousse à raser le matin après s’être pris une cuite la veille avec ses copains devant un match de foot. On devrait déjà commencer par avoir chaque année des bilans génétiques, chromosomiques, hormonaux et de tous les paramètres biologiques possibles si l’on veut savoir qui l’on est, au lieu de s’accrocher à son état-civil, sa carte d’identité, son numéro de Sécu, l’avis de sa télé et celui de l’État.

Et puis ensuite, vous avez d’autres catégories, plein de petites autres catégories en fait, que l’on pourrait artificiellement ranger dans les ensembles mâles hors norme MHN et femelles hors norme FHN. Aussi les mâles et femelles à venir MAV et FAV, qui seront à moitié robotiques, ou qui changeront de sexe chaque jour, ou qui seront totalement asexués, ou qui seront à moitié chat ou à moitié géranium. Mais de tout cela je parlerai un autre jour.

mardi 3 novembre 2009

Lidl, libraires, Lévi-Strauss



17 kg. Ce n’est pas (encore) mon poids qu’indique copine Terraillon, mais celui du sac à dos et du sac en plastique archibondés que je ramène du Lidl de Strasbourg-Saint-Denis. Vous vous en souvenez peut-être, le mois d’octobre m’a vu tenir ma première comptabilité personnelle en 41 ans d’existence. Trente et un jours plus tard, cette activité hautement stimulante pour l’intellect a révélé que l’alimentation forme mon premier poste de dépense. Ce qui est un comble : un seul repas maigre par jour, presque plus de restaurant, plus une goutte d’alcool. Bref, je me dis que Monoprix est désormais trop bourgeois pour moi, et je troque le city-marché pour le prolo-marché, Lidl, dont le plus proche se trouve à deux stations de métro. Non seulement Lidl n’est pas cher, mais on y trouve des produits meilleurs que dans la moyenne des hard-discount. Enfin je trouve, peut-être un effet dérivé de ma germanophilie. Un problème cependant : presque pas de produits allégés. Pas étonnant que le prolo soit obèse s’il ne peut acheter que du 100 % MG.

Dommage que je n’ai pas croisé monsieur RSA ou madame Pole Emploi : avec ma casquette, ma polaire, mes suées dues au chaud-froid de la saison et de la ligne 8, ils m’auraient signé un chèque direct sur le trottoir. Plein de boutiques de perruques pour Africaines, la prochaine fois je regarderai les prix. Derrière une vitrine, cinq rangées de quatre Asiatiques s’affairent à des manucures, là encore il faudra que je me renseigne sur le tarif. Où que je sois, je ne pense qu’à dépenser. Incorrigible. Sur le quai de la station un moustique tourne autour de moi, manquerait plus que j’attrape le palu.

Plus tôt dans la journée, je cherche SCUM Manifesto de Solanas : rien chez Joseph Gibert, rien chez Gibert Jeune. Près de la rue Saint-André des Arts, un gars vend des livres d’art sous un auvent. Un catalogue allemand d’expo Mikhailov est à 50 euros, inaccessible. Sur les quais, j’avise un bouquiniste dont les cheveux longs et gris cerclent un front haut et ridé : il soliloque sur une chaise tandis que ses livres indifférents aux passants prennent l’humidité.

Lorsque je rentre chez moi, je vais sur Amazon.fr et je trouve SCUM Manifesto chez 12 vendeurs différents à partir de 3,85 euros. Même pas besoin de le commander : copine Peggy, à qui j’avais parlé du très beau roman de Stridsberg, m’a envoyé un lien vers le livre en pdf. Je surfe sur Amazon.de et je déniche le Mikhailov chez 5 vendeurs à partir de 25 euros. Voilà pourquoi bon nombre de libraires vont finir comme mon bouquiniste solitaire. Sauf krach énergétique rendant l’envoi de colis hors de prix, et encore ce sera sans effet sur le livre électronique, ça le boosterait au contraire. Pour survivre, ces libraires, ou au moins ceux qui vendent du neuf, vont devoir faire des efforts, proposer du thé, des gâteaux, des partouzes, des lectures, des signatures, n’importe quoi en sus du livre pour attirer et fidéliser le chaland. Ce que beaucoup font d’ailleurs, mais le phénomène devrait s’accentuer.

J’apprends que Claude Lévi-Strauss est mort, pas loin de 101 ans. Il avait la qualité d’être discret, ce qui n’est généralement pas le cas de l’intellectuel français, son coreligionnaire atrabilaire et pétitionnaire. Il a d'ailleurs fallu quatre jours pour apprendre sa mort ; quand BHL va casser sa pipe, on le saura dans la seconde suivante. Je crains cependant que son œuvre vieillisse moins bien que lui ne l’aura fait. L’approche structuraliste en anthropologie n’a pas une descendance très féconde, à ce que j’en lis dans la littérature spécialisée. Reste bien sûr les récits ethnographiques et réflexions éparses, mais le « système » et la « structure » qui faisaient tant bander dans les années 1950-60 ont perdu de leur effet érectile.

Copain Jean, dont la visite matinale m’a redonné une belle humeur, me demande de réfléchir d’urgence à « un univers sémantique commun aux raffineries de pétrole et aux stations service ». Parfois, je me fais rire aux éclats.

lundi 2 novembre 2009

La faculté des rêves (mon prix)

Aucune nouvelle du RSA, ni oui ni merde. Aucune nouvelle de mon virement Amazon. Aucune nouvelle de l’Institut qui me doit encore du pognon. Donc rien de rien en banque, je gratte un peu d’argent à copine Peggy, je tourne en rond en attendant copain Jean demain matin, je vis comme un clébard des restes des autres. Au moins je ne bouffe presque pas. Mais j’en ai plein le cul du riz, cela me constipe. Il paraît que c’est aliment de base de 4 milliards d’humain, je m’imagine 4 milliards d’intestins coincés attendant de cracher une merde ronde et grosse comme la Lune.

C’est incroyable comme l’argent influe sur mon état d’esprit, soit en dépresseur quand il manque, soit en euphorisant quand il abonde. Hier j’étais fou de joie parce que copine Peggy m’a offert une casquette noire à visière qui me va très bien, enfin je trouve, j’ai l’air du militant révolutionnaire d’une cause ancienne, et puis hier aussi j’avais des afflux d’idées, par bouffées entières, il y a des jours où cela fait des étincelles, les pensées me viennent trop vite pour que j’aie même le temps de les noter, des choses se déclenchent dans mon cerveau qui semblaient attendre depuis une éternité. Et patatras, copain Jean a évoqué subrepticement au téléphone le montant de mon ardoise, oh rien de bien méchant juste une incise en passant, et cela m’a foutu complètement à plat en l’espace d’une minute chrono, j’ai perdu toute énergie, je me suis vu à toujours et toujours écoper mes dettes dans une barque percée de partout, je me suis vu captif de murs qui rétrécissent de plus en plus vite, je n’avais plus goût à rien.

Le seul moyen de ne pas être prisonnier de l’argent, ben c’est d’en avoir beaucoup. Ou alors que personne n’en ait et que la vie s’organise autrement. Au milieu, c’est-à-dire presque tout le monde, tu refrènes sans cesse des besoins, tu refoules sans cesse des désirs, tu diffères sans cesse des actes, et c’est crevant de survivre ainsi, tu deviens le calculateur de ton agonie, tu sens partout tes limites. Il faut écrire d’urgence une psychopathologie du capitalisme.

De cela je me console quand même en dévorant La faculté des rêves de Sara Stridsberg. C’est un roman sur la vie de Valerie Solanas, militante féministe radicale ayant tiré sur Warhol et publié le SCUM Manifesto, qui vécut toute son existence comme pute mendiante haïsseuse de mecs, qui creva seule dans une chambre d’hôtel miteuse. Le style de Stridsberg me scie autant que la vie de Solanas me tourmente. Je le conseille à tous et à personne. Et je me demande si je ne vais pas prendre des cours de suédois, ils sont fortiches quand même.

J’entends que Beigbeder a eu le Renaudot, quelle blague, j’avais arrêté au bout de dix pages, comme presque tous les autres. Ndiaye je n’ai pas lu, copine Sarah m’avait dit que cela valait le détour, mais il n’est pas à la bibliothèque pour le moment et ce n’est pas la bonne période pour acheter.