vendredi 4 décembre 2009

Mauvais esprit dans la mauvaise rame

Reçu le RSA cette nuit, au moins mon insomnie m’y a fait assister en direct. Je vais aux grands magasins, alors que mon but initial était d’aller à Monoprix, mais la bouche du métro 3 s’ouvre toute grande, et c’est direct, alors.... Je cherche vaguement une casquette noire, et j’achète vraiment un chapeau violet. Je ne sais pas pourquoi, je dois avoir un double maléfique, imprévisible et dépensier qui prend possession de mon quasi CORPS de RÊVE quand je franchis le seuil de ma porte. Enfin le chapeau n’est pas cher, j’ai quand même un début de commencement de surmoi. D’ailleurs, j’avais très envie d’acheter une chapka Paul Smith, vraiment pas chère elle non plus (149 euros, oui, bon, c’est une Paul Smith), parce que copine Peggy en a acheté une dans une friperie de Londres, avec des bottes de cosaque, et que Berlin en chapka ce doit être bien, surtout si par chance on reçoit un fluide glacial de Sibérie, un de ces rudes hivers continentaux que j’ai toujours préférés à la molle moiteur océanique. Au rayon créateur du Printemps homme, de superbes chaussures dont le cuir est couvert de mille perles violettes. Elles coûtent malheureusement 1,87 RSA (ma nouvelle unité de mesure monétaire mensuelle).

Je rentre et bingo, une voix crachoteuse dans le micro du métro fait état de « problèmes matériels à la station Bourse ». M’aurait étonné que ce soit des problèmes spirituels, notez bien. Tout le temps de lire Direct Soir au milieu de la rame dont la population se densifie à mesure qu’elle reste inerte sur son quai. Donc cela donne dans mon cerveau, pendant environ 457 secondes d’attente : voici 32 ans Bokassa est proclamé enpereur de Centrafrique, vêtu de la tenue du maréchal Ney en 1804, au sacre de Napoléon – On dit que c’est kitsch, mais je trouve cela cool, le sacre de Bokassa, cela a toujours plus de gueule que les constipés en costumes gris, et tant qu’à être un pantin au pouvoir de décision tendanciellement nul, autant sombrer dans des frasques grandioses et déplacées, c’est toujours plus inattendu qu’une Rollex au poignet, des Ray Ban de flic et un sourire de con – Cap Vert, des îles épargnées, avec des enfants qui plongent en riant dans les vagues, des pêcheurs qui… – j’en crois pas une virgule, le journaliste a dû recevoir des biftons pour faire oublier le gilet pare-balles qu’il portait même en bronzant, les plages sont probablement souillées des balles de Kalachnikov, de squelettes de bébé et de mines antipersonnelles de je ne sais quelle rébellion musulmane, animiste ou raëlienne, de toute façon je n’ai aucun envie de choper l’Ebola dans ces contrées arriérées – Recettes spéciales salon nautique : dorade rôtie à l’ail – bon sang, qu’est-ce que j’ai mal au bide, c’est atroce cette aérophagie et cette constipation consécutives à mon sevrage, j’ai le ventre gonflé d’air en lieu et place de mon ancienne graisse et c’est tout aussi laid, et puis cela me presse le plexus et j’angoisse, mais qu’est-ce qu’ils foutent avec leurs problèmes matériels – Le billet de Jean-Marc Morandini sur Nikos Aliagas – pourquoi est-ce qu’il a choisi une photo avec une tête aussi niaise, je sais que ce n’est pas une flèche mais quand même, on dirait le responsable du rayon téléphone mobile d’Orange dans la galerie marchande du carrefour de Dunkerque-Nord – Elodie Gossuin, je suis devenue l’égérie du coiffeur Lucie Saint-Clair, le titre de miss m’a aussi permis de me lancer en politique – Bokassa, oui, voilà une politique-spectacle qui au moins valait le détour, ce qu’elles sont laides ces deux vieilles qui me fixent, je suis sûr que celle de gauche porte une perruque, et l’autre aussi peut-être, ce doit être les représentantes de l’amicale du rayon X qui sortent du scanner pour craquer leur dernier dentier dans un dernier chapon – Mieux consommer : où trouver des vêtements certifiés équitables – dans ton cul sûrement, bientôt va falloir se promener en pagne tressé par un manchot avec leurs conneries, et bouffer des graines de cactus moisies du Pérou pour soutenir des cul-terreux qui gagnent que dalle, et pour cause, même les lamas veulent plus grignoter leur brouet que le marchand bio me revend à prix d’or – Le commerce équitable a été inventé par un prêtre-ouvrier hollandais Frans van der Hoff – ah ben cela ne m’étonne pas, c’est bien un truc de puritain, ils voudraient que l’on se promène tous en robe de bure et que l’on se flagelle le dos pour se punir de nos péchés d’orgueil, il a vraiment la tronche horrible du cureton batave à lunette Derrick, ça devait l’exciter, ce malade mental, d’aider des petits garçons bronzés et nus et purs – Lucien Boyer, pdg d’Havas Sport : vers le sport durable ; Jean-Louis Etienne, représentent de SOS Pingouins : ce qui se joue à Copenhague est passionnant – non mais c’est pas possible cette propagande, à chaque page la même doxa, le même bourrage de crâne perpétuel, moi je dis aux humains arrêtez net de respirer et cela fera des économies de CO2, de papier, de magasins bio, d’Etienne, de Boyer, de Gossuin, de Morandini… – Mes chansons naissent par hasard d’un cri enfui comme un murmure explique Virginie Seghers – et celle-là à côté, elle doit avoir dix ans et elle pianote déjà sur un Blackberry alors que je traîne mon Nokia antédiluvien qui me demande le code pin dix fois par jour, pff voilà où j’en suis rendu, à lire ces conneries dans un four crématoire déguisé en métro avec des vieilles chauves qui me lorgnent et des fillettes geek qui me narguent, ah non, tiens, ce n’est pas une enfant c’est une naine…

jeudi 3 décembre 2009

Dieu pense comme moi, et inversement

Nicholas Epley, qui est prof à Chicago, a mené sept études sur des croyants. En l’occurrence des croyants au dieu abrahamique, surtout des chrétiens. Il examine comment ces croyants projettent leurs convictions personnelles sur d’autres personnes, connues ou inconnues, et sur dieu. Epley a fait des études simples, comme des sondages, d’autres plus compliquées, comme des sondages après manipulation discrète de l’opinion du croyant ou des études par imagerie cérébrale. Et donc, il ressort de tout cela que le croyant et dieu pensent souvent la même chose, sur des sujets comme l’avortement, la peine de mort, le divorce, etc. C’est-à-dire que le croyant prête à dieu des convictions sociales, morales, politiques très similaires aux siennes.

Quand on lui demande d’imaginer ce que dieu en pense, ce sont les circuits cérébraux de sa propre subjectivité qui s’allument chez le croyant, pas les circuits de l’empathie utilisés pour se mettre à la place d’un autre. J’aime bien ces études d’imagerie cérébrale, avec leur petit côté voyeur, violation de l’intimité, impossibilité de dissimuler par la parole ce que les neurones produisent réellement dans l’esprit. Enfin j’aime bien dans le cadre d’expériences volontaires, il ne faudrait pas que cela tombe entre toutes les mains et sous toutes les lois. Vous imaginez si les assistantes sociales, huissiers, juges, mandataires judiciaires m’avaient collé un scanner sur le crâne, observant ma parfaite indifférence neurale, tandis que je prenais un air consterné et concerné capable de fendre l’âme d’un mur de prison ?

Pour revenir à nos moutons électriques, il n’y a pas à chier, dieu est vraiment un virus efficace. Si par malheur il rentre dans vos neurones, ce sera difficile de le déloger, il va coloniser toutes vos représentations du monde. C’est peut-être une question d’économie d’énergie. À part certains mystiques, qui surchauffent de la cervelle, dieu est plutôt un alibi de la paresse intellectuelle, une clôture causale à moindre frais : vous avez perdu un être cher, souffert d’un dilemme moral, chopé une sale maladie, assisté à un drame, pas compris un événement important… une explication par dieu sera simple, efficace, vous pourrez penser à autre chose ou ne penser à rien, vous n’aurez pas à vous creuser les méninges, à vous perdre en conjectures, à vous épuiser en hypothèses.

Dieu explique, et cette explication divine apporte bien sûr un certain réconfort, une certaine puissance : on a pigé, les autres ont tort, plus ils prétendent avoir raison et plus ils sont dans le tort. Pas de doute on a vraiment pigé.

Voilà pourquoi il y a tant de croyants dans le monde. De manière générale, voilà pourquoi il y a tant de convictions, si peu de réflexions. Parce que dire « telle est ma conviction intime, profonde », religieuse ou non, cela revient souvent à dire : voilà ce que je crois, je n’ai pas vraiment envie d’en parler ni d’en débattre, vous pourrez dire ce que vous voulez je ne changerai pas d’avis. Et en effet, quand on est avec un croyant, mieux vaut parler d’autre chose que sa croyance.

mercredi 2 décembre 2009

Tic tac

Mon bel équilibre de sommeil établi ces dernières semaines s’est à nouveau rompu, après avoir erré comme un zombie suite à une courte nuit, et m’être couché tôt dans l’espoir de faire un tour du cadran, je me réveille peu avant minuit. Je n’aime pas cela du tout, je suis généralement improductif dans de telles situations. Il faut dire que j’aime anticiper les heures à venir, savoir que je dispose d’un certain temps pour certaines choses. Je déteste l’imprévu, en même temps que je déteste les rendez-vous fixés d’avance, qui m’apparaissent comme d’insupportables bornes dans l’horizon de mes actions. C’est aussi pour cela que je sors si peu, quand j’apprends l’existence d’une soirée trop tard, elle m’agace pour son irruption imprévisible, quand je l’apprends trop tôt, elle m’agace pour son obligation prévisible, de toute façon les soirées m’agacent, elles m’agacent en proportion de leur démographie, les gens rassemblés comme des bancs de moules n’y sont vraiment pas au mieux de leur expression, ils se répandent en commerce rapide, superficiel et vain, des faces et des voix de plus en plus lointaines à mesure que l’heure avance, les deux seules choses à faire en soirée m’ont toujours semblé de se bourrer la gueule ou de draguer, et pourquoi pas de draguer en se bourrant la gueule ce qui est généralement la stratégie des timides, mais comme je pratique désormais peu ces choses-là, eh bien les soirées perdent une bonne part de leurs raisons d’être ontologico-pratiques.

Tout à l’heure j’étais convoqué par le commissaire-priseur, enfin la, c’était une dame, une grande Eurasienne élancée. Elle officie dans un appartement transformé en bureaux près de Drouot. Tout paraît un camaïeu de gris, marron et beige, avec des piles incroyables de dossiers, j’ignore comment les gens peuvent survivre au milieu de tels monticules de paperasse, moi qui nourris une solide phobie du formulaire. Elle a du retard, je lis un polar de Nesbo dans un coin, je me dis que je suis une souris qui va grignoter les papiers, sans doute l’effet du manque de sommeil des visions aussi débiles. Le fait est qu’avec ma gueule mal réveillée et ma tenue 4bis de quasi-clochard pas vraiment céleste, je suis au mieux pour négocier un bon accord. Et de fait, l’Eurasienne jette un œil assez navré sur ma liste de patrimoine mobilier composé pour l’essentiel d’ordinateurs vieillis, de meubles Ikéa des années 90 et de bouquins, beaucoup de bouquins certes, mais les créanciers préfèrent les bagnoles et je n’en ai pas. Elle essaie vaguement d’inscrire l’informatique, puis elle sourit et me dit : « Bon, on laisse tomber, pour moi c’est fini avec vous », je dois juste remplir et signer un papelard comme quoi je ne possède pas de 4x4 et suis hébergé chez un pote, et voilà. J’en connais à la Société Générale qui vont encore hurler de désespoir, je suis bien parti pour les enculer une seconde fois. Enfin, il y a quand même la baraque dont je suis propriétaire en banlieue qui va sauter, et ce ne sera pas une mince affaire, vu qu’il y a encore mon ex incrustée dedans. On verra.

La Banque de France m’écrit, suite à ma liquidation. Je suis à nouveau inscrit dans le fameux code 050, et j’ai aussi la cotation XP. Cette fois, le courrier m’explique en détail ce que signifie ce dialecte bureaucratique. Pendant une durée de trois ans, j’appelle une « attention forte » de mes camarades banquiers et financiers, car j’ai planté ma boîte, enfin mes boîtes. Bon. Cela m’indiffère. Plein de gens pleurnichent lorsqu’ils sont ainsi fichés, moi je trouve cela normal, je ne peux quand même pas planter mes banques en creusant des découverts que je ne remplirai jamais et m’étonner ensuite que les mêmes banques nourrissent quelque prévention à mon encontre. Le délai de trois ans me fait même sourire par sa naïveté, j’ai planté mon premier compte six mois après son ouverture, à l’âge de 16 ans, et mon caractère dépensier n’a cessé de s’affirmer depuis. Mieux vaudrait m’en coller pour trente ans, je doute qu’en dehors des neuropathologies on change brutalement de personnalité pendant la quarantaine.

Il fait nuit, copines Peggy et Natacha sont à Londres, j’ai un rencart demain matin et pas sommeil. Je me fais cuire des œufs cocottes au paprika. Je regarde des photos de Stefanie Schneider et je rêve de Berlin. Dans moins de trente jours j’envahirai la capitale du Reich avec l’armée du rêve.