Copine Terraillon m’estime à 65,5 kg, le yo-yo m’aura décidément épargné. Dommage que je ne puisse fêter cela d’un repas de gala. Je n’en soulève les haltères qu’avec plus d’ardeur.
Je passe mon dimanche à lire et écrire. J’ai trouvé l’axe d’évolution de mon roman, je rédige vite, on verra à l’arrivée si cela tient la route. Il en va ainsi, du moins quand je tâte de l’écriture littéraire, une première frappe très rapide, suivie d’un très lent travail de détail. Le plus dur mais le plus nécessaire étant alors de faire disparaître les mots et phrases le méritant. Et dieu sait qu’il y en a.
Dans Wired, édition américaine, un dossier sur les « idées dangereuses » : chaque année, la rédaction met en avant divers projets susceptibles selon leurs promoteurs de faire évoluer les pratiques et les mentalités. Cet automne, cela va de la libéralisation du clonage humain à la suppression des prisons en passant par la légalisation du suicide assisté ou la fin du secret médical. En lisant, je repense aux dizaines de fois où j’ai entendu dans des rédactions parisiennes le mantra : «nous allons faire le Wired français». Et bien sûr, jamais la France n’a connu l’équivalent d’un Wired, la mentalité californienne, technophile, libertaire, provocatrice ne tiendrait pas deux numéros chez nous, les annonceurs s’enfuiraient, les ligues de vertu crieraient au scandale, les lecteurs ne seraient sans doute même pas au rendez-vous. Tout ce qui a voulu de près ou de loin ressembler à un Wired souffrait inexorablement de l’absence de liberté de ton et de fraîcheur de pensée qui caractérise notre pays, où l’on doit prendre un air consterné et constipé quand on avance une proposition, où l’on doit se demander si cette proposition ne va pas par malheur blesser une minorité, offenser un culte, augmenter les inégalités, aggraver les handicaps, inférioriser les femmes, pousser les suicidaires à l’acte, ébranler le CAC 40, irriter les fonctionnaires, provoquer une crise de psoriasis à l’Élysée, déplaire finalement à la hiérarchie rédactionnelle qui réplique fidèlement les cours et courtisaneries dont regorge le pays, où l’on finit donc par se castrer le cerveau et par répéter ce que dit le voisin, ou alors par donner dans la prudente provocation à la petite semaine, le plus souvent dégoulinante de bons sentiments humanitaires et n’effrayant évidemment personne.
Heureusement que la pensée s’évade naturellement des lieux et des liens, sans ce refuge on se cognerait la tête sur les murs compacts de nos prisons.
Quand je me noie ainsi dans des abîmes de réflexion, j’adore trouver pour bouées des petites activités très prosaïques me ramenant cinq minutes sur Terre. Récurant mes chiottes et lavabo, je peux donc vous garantir que Cillit Bang est incontestablement plus efficace que ses concurrents, en l’occurrence deux autres produits de marque Leader Price que j’avais achetés pour comparer. Le flacon annonce : «surpuissant contre les taches et moisissures tenaces». Voilà, la pensée française aurait besoin elle aussi d’un bon coup Cillit Bang…
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