vendredi 23 octobre 2009
Souffle du soir venu
D’une phrase d’une seule, saisir cette journée, voilà qui me semble une gageure et comme je commence à écrire, à la lueur tombante du jour, au cri des enfants qui sortent des écoles et des moteurs qui s’élancent vers leur week-end, il m’apparaît que rien de mémorable ne mérite sans doute d’être retenu, que tout dans mes dernières heures de veille fut simple répétition d’actes antérieurs, à quoi se réduit d’ailleurs l’essentiel de notre existence et il faut pour supporter cette absence évidente de nouveauté, pour accepter ce retour obstiné de l’identique, pour laisser s’accomplir sans remords le cours machinal des événements, il faut donc ne surtout pas prendre de recul, ne surtout pas s’interroger, ne surtout pas imaginer ce que nous aurions pu faire en des circonstances plus heureuses, ou simplement autres, il faut en dernier ressort ne pas penser du tout, tant il est vrai que la pensée de cette insignifiance nous plonge dans l’effroi ou la colère ou le spleen, selon son tempérament du moment, et qu’au bout du compte, tous ces gens allant riant vers une fête bruyante, une soirée paisible, un rendez-vous amoureux, un copieux festin, tous ces gens palabrant en terrasses des cafés malgré la bruine, tous ces gens entrant et sortant des commerces, tous ces gens avançant mécaniquement vers un destin déjà tracé, tous ces gens gommant le souci par la solide résolution de ne pas examiner la finalité dernière de leurs actes, tous ces gens-là, dont j’observe la vie cadencée du rebord de ma fenêtre, ont certainement approché le bonheur bien plus souvent que je ne l’ai fait, et si par quelque conversion eudémoniste je décidais à mon tour de chercher ce bonheur comme un but, je ne vois d’autre issue qu’une trépanation, un électrochoc peut-être, une violente catharsis susceptible de défaire tous les liens anciens de mes neurones et d’ouvrir mon esprit à la béatitude du même en sa réplication infinie, mais bien sûr, il me serait impossible alors d’écrire de si longues phrases, d’écrire quoi que ce soit en fait, puisque l’écriture résulte toujours d’une différence entre deux états dont elle tente une description et que sans cette différence, fut-elle minime, l’exercice même d’écrire se trouve absolument vidé de son sens, monotone enregistrement du cours d’un monde dont nous serions les objets inertes, et peut-être que les interjections de plus en plus brèves par quoi tendent à se résumer les échanges sur ce lieu virtuel où tombe mes mots expriment-elles au fond un désir de cette espèce, le devenir-objet d’un animal ayant bien trop pensé et parlé.
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