Ah cela rapporte de jouer les petits parfaits en tenant scrupuleusement ses créanciers informés de ses déboires ! Hier encore, j’ai reçu sur mon mobile une sorte de message pré-enregistré dont l’effrayante voix mécanique me menaçait de mille morts si je ne commençais pas im-mé-dia-te-ment à régler une autre de mes dettes, à une banque cette fois. La Société Générale pour ne pas la nommer, si ces enkerviellés croient que je vais produire le moindre effort, ils se trompent, je ferai absolument tout pour obtenir la part qui me revient dans l’irresponsabilité généralisée et les milliards qui s’envolent d’un claquement de doigts. Le pire est que la banque comme l’huissier mandaté par elle pour me persécuter ainsi avaient reçu la semaine dernière un courrier faisant état de mon surendttement, de mon chômage et de mon absence totale de revenu. Cela ne les empêche pas de vous pourrir l’existence par automates téléphoniques interposés. Le mec au soixante-quinzième étage de sa tour, dont la femme est partie avec ses gosses, dont le Pôle Emploi lui envoie une offre de merde par semaine depuis 654 jours et dont le caniche vient de mourir d’un cancer généralisé, il prend la communication et il saute direct par la fenêtre.
Toujours est-il que je suis comme un con devant ma box aux voyants endormis. Je passe une bonne part de mon temps dans le monde virtuel, et ce sevrage brutal me laisse désemparé. Un coup de fil à copain Jean permet de payer la facture, au prix d’une rallonge supplémentaire sur mon ardoise déjà conséquente chez lui, mais cela se fait dans les 24 heures au mieux. Je me tâte d’aller chez copine Peggy, mais c’est tout petit chez elle, ma fumée devient vite problématique, je n’ai pas de fric pour me payer un billet de transport et j’ai déjà fait l’aller-retour à pied, hier et ce matin. Non, je vais plutôt m’activer hors ligne, écrire pour ce journal, avancer sur mon roman, rendre et reprendre des livres à la bibliothèque, réduire la pile des lectures en retard, soulever des haltères, regarder cinquante fois mon frigo presque vide, maudire Orange, maudire Orange, maudire Orange…
J’affecte une probabilité de 80% au Nouvel An à Berlin. Copine Peggy a trouvé des apparts à louer à la semaine valant moins chers que trois nuits d’hôtel. Peu importe qu’ils soient loin du centre, j’en serais même ravi, j’aime déambuler dans les villes, et puis quand on n’est pas chez soi, tout est motif de curiosité, même un banal transport en commun. Le voyage se fera en voiture, tant pis pour l’effet de serre et tant mieux pour le porte-feuille. Copine Amélie n’est pas chaude pour venir, on verra le moment venu. Je me réjouis d’avance de fuir Paris et la France.
Je regarde des photos de Cindy Sherman, je ne me souvenais plus de ses séries Masks. Cela me fait penser que copine Natacha est complètement déprimée car elle ne trouve pas de temps ni d’espace pour faire de la photo non-alimentaire. C’est dingue comme notre génération (je la vieillis ou je me rajeunis un peu) aura vécu sous le spectre de l’ennui et de la rareté par rapport à la précédente, celle des Trente Glorieuses, quand tout semblait aller de soi. Bien sûr il faut relativiser, avec le prix d’un paquet de cigarettes on peut faire vivre une famille africaine pendant un siècle, et caetera. Mais la pauvreté des autres n’est pas un argument valable pour se laisser enfiler sans moufter le suppositoire de plus en plus large de la paupérisation inéluctable. C’est surtout une question d’ambiance générale, dans les pays à forte croissance comme la Chine, on voit plein de choses se passer malgré la répression, cela construit à tout va dans des projets urbains démentiels, les paysans se barrent enfin des campagnes, les classes moyennes et citadines émergent, elles ont envie de se construire une nouvelle vie et de coloniser la planète, cela fait plaisir à voir, au moins de loin et j’irais d’ailleurs volontiers tout près pour me faire un avis. Les vieux Européens, quant à eux, me font pitié, ils gèrent péniblement la ruine de leurs Etats providence, ils essaient de se convertir au libéralisme mais n’en ont pas du tout la mentalité et croient encore à la communauté ou à l’Etat, au fond, ils prennent un air grave et prétentieux pour avancer des projets emmerdants comme la pluie de gestion de la planète en bons pépères de famille, ils sortent en douceur de l’histoire et requalifient de sagesse ce qui ressemble surtout à un épuisement fondamental de leur énergie de vivre. Vivement que la jeunesse du monde balaie tout cela. Enfin… sauf si cette jeunesse n’a rien à apporter de plus de stimulant que lire un Coran en boucle.
Ce soir je vais marcher du Marais jusqu’à la Sorbonne pour aller voir The September Issue, le docu sur le bouclage de Vogue, j’espère que ma carte de chômeur me vaudra une réduc. Ce sujet léger me convient parfaitement.
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