samedi 31 octobre 2009
Inutile d'insister
Au départ, cela s’appelle Tipiak. Un mélange seigle, blé, épeautre. «Agrémenté de petits légumes cuisinés aux herbes de Provence» dit la boite. Ca paraît bien bon, mais ce n’est pas fameux. Et j’en ai fait dix fois trop. C’était il y a trois jours. Ce soir, je n’ai rien d’autre, même plus de son, je dois bien faire réchauffer cette mixture. Mais quand on réchauffe, ça accroche. Je n’aime pas cela, faut récurer le fond de casserole. Je me dis que je vais lui mettre une bonne rasade d’huile. Et vlan. Sauf que je me trompe et que je balance du vinaigre. Balsamique, oui, mais vinaigre quand même. Ca sent bizarre. Je rajoute de l’huile. Ca sent encore bizarre. Je vide un reste d’épices, un mélange argentin. Et puis tiens, pour casser l’aigreur du vinaigre, je mets du sucre, de l’édulcorant liquide. Au point où j’en suis. Je couvre la potion et je vais surfer. Oh juste deux minutes. Douze minutes plus tard, je suis tiré de mes rêveries par une fumée âcre. J’ai mis le feu à fond, le mélange blé-seigle-épeautre-huile-vinaigre-sucre-épice pue salement le cramé. Je crois que je vais me coucher tôt.
Texte de circonstance
Assise au coin d’une salle commune, sa vieille tête au cheveu rare ne dodeline plus, elle est tendue, on croirait une serpillière sèche et raidie. Des souvenirs confus s’y croisent et recroisent dans un brouillard filasseux, de plus en plus rares, de plus en plus flous. Son mari mort plus tôt, quand elle l’ignore, mais elle sait encore qu’elle l’aima, elle le voit parfois surgir des brumes en costume cintré, brillant et noir, sourire de coq fier sur le parvis d’une église, à moins que ce ne soit les marches d’une mairie, un costume sans corps qui danse une valse musette au goût de bin blanc. Son fils. Son adorable fils. Son haïssable fils. Son unique fils qui prend tantôt le visage d’un chérubin aux yeux d’ange, tantôt celui vieilli et bouffi du bourreau qui la traîna dans cet hospice. Un chien qui aboie dans la cour de la ferme et crache la fumée de sa gueule joyeuse, un chien qui meurt doucement en gémissant sur une couverture jetée dans la chambre, des gelées d’octobre et des printemps rieurs, des messes tranquilles et des jours sans fin. Tout défile dans sa vieille tête de serpillière séchée sans que la face bouge d’une ride, les narines en sont pincées, les lèvres serrées. Une infirmière passe et dit : « la mère Raymonde s’est encore chié dessus ». Elle ne la regarde pas, elle ne l’entend pas, les yeux fixés sur la fenêtre du mur en face, dont elle ne distingue presque plus rien, une tâche moins terne dans la grisaille diffuse de la salle commune. Elle ne maîtrise pas plus ses neurones que ses sphincters, la mère Raymonde, les huit mois dans le mouroir ont relâché les derniers muscles, fragmenté les dernières pensées. Huit mois sans voir personne, car une infirmière ou un docteur n’est pas quelqu’un, enfin pas pour elle, ils sont de simples passants, ces gens qui passent et qu’elle ne connaît pas, prononçant des mots qu’elle ne comprend plus. Huit mois de soupes amères et puis d’intraveineuse quand la bouche édentée ne s’ouvrait plus. Huit mois d’odeurs renfermées où cent autres cadavres ambulants distillent leur agonie au compte-goutte. Huit mois de voix criardes et de murmures reprobateurs d’un personnel toujours pressé d’en finir, en finir avec quoi nul se sait, cela n’en finit jamais la vie, les cliniques d’à côté accouchent à chaque minute des grabataires du siècle prochain, et tout le monde applaudit au bord de la fosse. Elle n’est pas triste, la mère Raymonde, sa vie fut déjà pauvre en émotions, quelques-unes suffisaient bien à orchestrer ses rythmes lents et meubler sa rassurante monotonie. Ce n’est pas dans sa quatre-vingt-neuvième année que ce genre d’existence découvre le bonheur, ni même le malheur. Elle voit une petite fille rire sur une balançoire, les chèvrefeuilles crachent leur lourde effluve. Puis rien, la tête raide s’affaisse doucement sur la poitrine. Ses yeux morts fixent le carrelage où sont tombées des miettes.
Antoine découvre la Toile
Dans Le Monde, Antoine Gallimard pond une tribune intitulée «e-book la grande braderie». C’est long, c’est lourd, c’est creux.
D’abord monsieur Gallimard se plaint que le numérique massacre les savoir-faire ancestraux de l’édition. On rigole : la multiplication des fastbooks pilonnés trois mois plus tard chez les grands éditeurs et la prolifération de certaines productions minables chez les petits éditeurs les ont déjà largement massacrés dans le monde papier.
Ensuite, monsieur Gallimard assure que la numérisation est une nécessité et que les éditeurs l’ont bien compris. On se marre : il a fallu attendre l’été 2009 pour voir péniblement annoncée la plateforme numérique Eden-Livres (Gallimard-Flammarion-La Martinière), toujours pas opérationnelle à ma connaissance, alors que le grand méchant Google Books a été lancé… en 2004. Une réactivité à cinq ans, cela paraît sans doute normal dans les salons feutrés et germanopratins, on ne peut pas être aux petits fours et au clavier, n’est-ce pas. Quant au concurrent Numilog de Hachette, leur site ressemble un peu à une page perso.
Et puis ils se préparent des lendemains qui déchantent, les camarades éditeurs. Je vais sur Numilog et je prends le premier roman venu, 1974 de Besson. Certes, il ne viendrait à personne l'idée de l'acheter, mais enfin il est au top dans sa catégorie au moment où je clique. Cela coûte 12,50 euros en format ePub. Et je vois la précision en petit à côté : 14 euros au format papier. L’art et la manière de vous prendre pour un con. Un livre électronique supprime le coût de l’impression et du stockage, l’intermédiaire de la diffusion et de la distribution. Antoine et consorts voudraient donc nous faire croire que l’économie réalisée en éliminant ainsi le papier et la colle, les hangars et les camions, les cartons et les timbres, les imprimeurs, les libraires, les commerciaux, les chauffeurs serait de… 1,50 sur 14 euros, soit à peine 10% ? Continuez sur cette lancée, vous garantissez les beaux jours du piratage. Ou des multinationales américaines.
vendredi 30 octobre 2009
Des cabinets de curiosités aux greffes des cités
Copine Terraillon confirme ma remarquable stabilité : 64,7 kg ce matin. Copine La Poste m’amène une nouvelle fouine, la troisième, copain Joe est ravi de sa ménagerie, mon appartement devient lentement et sûrement l’étrange nécropole d’une faune sauvage.
J’aime les cabinets de curiosités qui ont connu leur âge d’or voici quelques siècles. Rien à voir ces collections monomaniaques qui se sont développées plus tard, il s’agissait une sélection choisie des raretés de la nature et de l’art, naturalia et artificalia, capables de faire réfléchir et rêver l’esprit.
L’horizon de ma journée est nettement moins plaisant que ces beaux musées privés ayant fleuri dans l’Europe savante d’un autre âge : je dois me rendre au lieudit « Immeuble Le Pascal, Centre commercial régional Créteil Soleil », plus précisément au greffe du Tribunal de commerce pour y déposer un nouveau dossier de liquidation. Étape nécessaire pour que la commission de surendettement prenne ensuite en compte mon dossier. Ma seule consolation est que cet endroit est accessible en métro, au terminus de la ligne 8 passant juste à côté de chez moi. Je mets à profit l’heure de transport pour terminer la biographie de Diane Arbus.
Créteil est grise sous le jour sans soleil, elle est de toute façon grise quelle que soit la météo. Des masses dont le vendredi est libéré par les RTT ou le chômage se pressent vers le centre commercial. La misère et le clinquant célèbrent leurs tristes noces. Je me trompe d’immeuble et rentre dans une Caisse d’assurance maladie. Le déguisement que j’avais inutilement choisi pour aller au Pôle Emploi parisien aurait été tout désigné ici, le lieu ressemble à sa caricature : bondé, coloré, sinistre.
J’atterris enfin à la bonne adresse. Évidemment, il manque un papier dans mon dossier, un obscur formulaire relatif aux privilèges de mes créanciers. La fille du greffe, très aimable, me dit qu’on peut le faire sur place. Pour 46 euros. Je prends immédiatement mon visage 14bis du jeune homme sympathique, affolé et accablé, je lui explique que je suis chômeur, sans nouvelle du RSA et sans un sou en poche, ce qui est d’ailleurs globalement vrai. Pleine de compréhension, elle s’en va débattre avec une personne invisible que je suppose être son supérieur direct et revient un large sourire aux lèvres, me disant que tout est arrangé. Je la remercie et songe qu’elle pourrait en faire de même ; car j’ai donné à son âme généreuse l’occasion d’exprimer sa charité et sa commisération, elle dormira mieux ce soir en pensant à tout le bien qu’elle a fait autour d’elle. Bien que j’ai vécu une liquidation en juin dernier, je joue patiemment le néophyte quand elle m’explique les procédures à venir – avoir l’air d’un habitué des prétoires la foutrait mal. Si j’ai un peu de bol, ils ne croisent pas les fichiers avec ceux du département voisin et ne verront pas que je plante là ma deuxième société en l’espace d’un trimestre. Rendez-vous le 18 novembre à 8h45 pour passer devant les magistrats, cette matinée promet d’être longue.
jeudi 29 octobre 2009
Le corps kafkaïen
Kafka et moi avons des problèmes contraires. Le 22 novembre 1911, il note dans son Journal : « Eu égard à sa faiblesse, mon corps est trop long, il n’a pas la moindre graisse qui puisse engendrer une chaleur pleine de bienfaits ou entretenir un feu intérieur, pas de graisse dont l’esprit puisse se nourrir une bonne fois au-delà de ses besoins quotidiens sans porter préjudice à l’ensemble ».
Chacun son CORPS de RÊVE.
Chacun son CORPS de RÊVE.
Kafka n’a qu’à moitié tort, d’ailleurs, le fait est que notre cerveau adore la graisse dont il enduit ses axones. Mais comme ce même cerveau tend à prélever de manière prioritaire ce dont il a besoin, il n’y a pas tellement de lien entre vivacité d’esprit et tour de taille. Il semble même que l’on observe le contraire. Récemment, des chercheurs chinois ont fait une méta-analyse de 26 études antérieures sur les liens entre QI et obésité chez les enfants (Obes Rev, 23 sept 2009, epub). Eh bien il en ressort que les obèses ont 10 points de moins que les autres dans les scores de performance intellectuelle, et sept de moins dans les scores d’intelligence verbale. Des gros cons, pourrait-on dire méchamment.
Avec les températures qui baissent, j’ai encore plus la flemme d’aller à la piscine. L’entretien de son corps est une activité très enquiquinante quand elle devient spécifique, c’est-à-dire quand elle ne découle pas d’une autre occupation. Ce n’est même pas la difficulté qui me rebute, car je suis ma foi assez léger maintenant, mais l’ennui qui me saisit très vite lorsqu’allongé, par exemple, je regarde mes jambes faire des mouvements en l’air. Je ne parviens toujours pas à concevoir que l’on passe une heure entière dans une salle de gym à gesticuler de la sorte en obéissant aux aboiements d’un maton. D’ailleurs je constate que copines Peggy et Natacha ne mettent plus guère les pieds au gymnase, et j’ignore même si copain Stéphane poursuit son plan musculaire secret. Je n’en conserve pas moins mes petites activités haltérophiles et abdominales réparties au cours de la journée, ainsi qu’un maximum de marche à pied dans Paris. La perspective du club de gym s’éloigne donc, je projette plutôt de profiter du prochain printemps pour une séance plus intensive, avec fortes doses de créatine (et de testostérone si j’en ai trouvé d’ici là), afin de sculpter un CORPS de RÊVE que je pourrai exhiber l’été suivant.
Une autre histoire de la violence
Hier, l’un à pied sort ses poubelles. L’autre à vélo prend la rue en sens interdit. Choc, altercation, cri. Cala se finit par « connard » et « enculé » faisant écho sur les façades. Ce matin, tôt à Bastille, même scène pour un accrochage en voiture. L’autre soir, pratiques identiques à Ledru-Rollin. Et ainsi de suite, je n’arrête pas de voir des mâles humains extérioriser leur hargne par des cris et des menaces. La colère est une émotion que je ressens difficilement, chez moi cela relève plutôt d’un agacement permanent, mais pas de ces bouffées soudaines d’agressivité qui viennent des tripes et des hormones. Dans toutes les sociétés humaines connues, 95 % des crimes et délits sont le fait des mâles de l’espèce et parmi ceux-là, c’est au pic de testostérone, c’est-à-dire à 15-25 ans, que la probabilité est la plus forte de s’en prendre à autrui ou à ses biens. Mais les altercations dont j’ai été témoin étaient le fait d’individus plus âgés. Je n’aime pas cette violence, je la trouve stupide. Et comme je suis malgré tout un mâle, elle me rend à mon tour violent, elle me donne envie d’écraser la face des individus qui sont assez cons pour s’y abandonner, donc elle me rend con à mon tour et je l’aime encore moins.
Rien de tout cela dans le documentaire The September Issue vu avant-hier soir, dont je parle avec retard en raison des France Teleconneries. Le monde de Vogue est rempli de femmes charmantes, de couturiers affables et de photographes inoffensifs. Le film est intéressant, je ne regrette pas (comme souvent hélas) de l’avoir vu. Le personnage d’Anna Wintour, patronne de la rédaction de Vogue US, me plaît : très professionnelle, très froide, très discrète, en contrepoint du milieu dont Vogue est une figure de proue éditoriale. Milieu que je ne connais et ne rêve pas de connaître, mais dont certaines critiques faciles me laissent insensibles. Je crois au fond que je n’aime pas la richesse, mais le luxe, et la haute couture en est évidemment l’incarnation même. Même le plus pauvre peut se permettre un luxe, alors que bien des riches ne s’en accordent jamais.
Après le film nous avons été au Quick, ils ont un nouveau sandwich aux oignons qui me rappelle le Whopper du Burger King, et du même coup les pays germaniques et nordiques où cette chaîne prospère. Je repense à Berlin, j’ai hâte d’être en hiver.
Mon roman avance doucement, à mesure que j’ajoute les éléments du nouveau plan, je réfléchis aux futures modifications du récit principal déjà achevé avant l’été. J’ai aussi envie de faire un essai sur le sexe, je m’en suis ouvert à copine Sarah, mais ce sera pour 2010.
À la radio, on cause du retour de la grippe A, et aussi d’une consultation sur l’identité nationale. Il n’y a qu’en France que l’on change les codes de nationalité et règles de citoyenneté tous les quatre matins, quand j’étais plus jeune cela évoluait d’un gouvernement l’autre. Un jour, j’ai lu une interview de Houellebecq où le journaliste l’interrogeait sur son exil en Irlande, l’asticotant sans doute sur le fait qu’il était mauvais citoyen et contribuable, et le romancier répondait quelque chose du genre : je me suis toujours senti un usager de mon pays, je n’y ai aucune attache sentimentale. Cela m’avait ravi car je suis exactement dans la même disposition d’esprit, celle d’un usager de la France. Ou d’un touriste quand je visite ses régions, il est vrai très belles. Le pathos national me laisse de marbre, le prêche citoyen m’incommode plus encore. Ce dont ont besoin les petits Français issus de l’immigration ou non, ce n’est pas d’entonner en chœur la stupide Marseillaise, ce n’est pas de psittaciser l’antienne des valeurs-de-la-République, mais de trouver du boulot, si possible bien payé. Et éventuellement de se prendre une taloche quand ils font les cons, comme les jeunes ont toujours fait les cons, c’est à cela notamment qu’ils se reconnaissent. Mais toute la litanie sur la France éternelle de Vercingétorix à Valmy et de Napoléon à Sarkozy, avec des trémolos de circonstance dans la voix, cela me semble une curiosité du XIXe siècle, un truc que les post-sexagénaires de l’élite sortent de temps en temps du placard à poussière, peut-être un dossier de couverture du Nouvel Obs ou du Fig Mag quand il n’y a vraiment aucun autre marronnier en vue.
mercredi 28 octobre 2009
La (nouvelle) fable des abeilles
De tous les maux intellectuels qui accablent l’époque, l’environnementalisme béat n’est pas le moindre. Journaux, radios, télés et sites dégorgent de pleurnicheries climatiques, de lamentations polluées, de complaintes biodiversifiées, de gémissements radioactifs. Tout cela est pieux et généreux, mou et flou, romantique et pathétique. Le Français moyen n’aime généralement pas être qualifié de conservateur, surtout le djeune rebelle, mais quand il s’agit de conserver la planète en l’état, c’est la course en avant réactionnaire.
Remarquez bien : je ne souhaite pas le génocide de l’ours blanc ni le sacrifice du bébé phoque. Mais je ne supporte pas la bêtise grégaire, encore moins la malhonnêtété intellectuelle. Je pense à cela en lisant un papier d’Aizen et Harder dans le New Scientist. Ces deux chercheurs sont notamment spécialistes des abeilles. Ils tordent le coup à la phrase stupide que l’on prête à Eistein : «si les abeilles disparaissent, l’humanité suivra dans quatre années». Et à tout le tralala qui accompagne depuis plusieurs années le déclin de l’abeille dans le discours médiatique.
Et d’un, Einstein n’a jamais dit cela. Et de deux, sur les 115 plantes les plus indispensables à l’humanité, seules 70 sont pollinisées et parmi celles-là, la plupart sont autopollinisées. Et de trois, l’Europe et les Etats-Unis ne sont pas le centre du monde : leurs pertes récentes ont été plus que compensées par les gains africains, asiatiques et sud-américains, de sorte que le stock mondial d’abeilles domestiques a augmenté (et non diminué !) de 45% en 50 ans. Et de quatre, les pesticides et herbicides sont loins d’être les seuls coupables dans les zones où l’abeille domestique a effectivement décliné, il n’est même pas certain qu’ils soient du tout responsables, le syndrome d’effondrement de colonies ayant plus probablement une cause principale de nature virale ou parasitaire.
Mais voilà : un discours simpliste et alarmiste qui désigne un ennemi facile aura toujours plus de succès qu’un exposé rigoureux qui fait l’effort de collecter les données et de montrer leur complexité. C’est vrai dans tous les domaines. Quand vous avez le malheur, comme moi, de vous méfier des bavardages confus et des dissertions vagues, quand vous cherchez presque par instinct le roc des faits derrière l’écume des mots, eh bien vous avez souvent le sentiment d’être un extra-terrestre. Et ne croyez pas que vous aurez un jour un instant de repos. Parce qu’un mantra en chasse un autre, quand les abeilles seront oubliées, personne ne battra sa coulpe pour les conneries émises, on se plaindra avec une ardeur redoublée du déclin du moustique, du moucheron ou de je-ne-sais-quel truc volant.
Dans une autre étude parue ces jours-ci, deux chercheurs ont montré que sur tout sujet, les extrémistes ont tendance à s’exprimer plus largement que les modérés, notamment parce qu’ils croient que leurs convictions sont partagées par une majorité silencieuse. Ils ne songent même pas à convertir leurs voisins, mais s’imaginent exprimer ce que le voisin pense déjà au fond de lui-même. Effrayant quand on y songe, de vivre ainsi parmi des primates qui s'imaginent être les porte-parole obligés de vos idées.
mardi 27 octobre 2009
France Telecom m'a suicider
Et voilà, couic, coupé du réseau large comme le monde, world wide web. Orange / France Telecom, que j’avais pourtant appelé la veille pour les prévenir que je ne pouvais pas payer mes factures en retard mais que je le ferai sans faute dans la semaine dès qu’un virement sera passé sur mon compte, m’a coupé hier matin mes services Internet. Ils ont tellement de suicides en interne qu’ils ont peut-être envie d’exporter leur nouvelle offre en faisant sombrer leurs abonnés dans le désespoir.
Ah cela rapporte de jouer les petits parfaits en tenant scrupuleusement ses créanciers informés de ses déboires ! Hier encore, j’ai reçu sur mon mobile une sorte de message pré-enregistré dont l’effrayante voix mécanique me menaçait de mille morts si je ne commençais pas im-mé-dia-te-ment à régler une autre de mes dettes, à une banque cette fois. La Société Générale pour ne pas la nommer, si ces enkerviellés croient que je vais produire le moindre effort, ils se trompent, je ferai absolument tout pour obtenir la part qui me revient dans l’irresponsabilité généralisée et les milliards qui s’envolent d’un claquement de doigts. Le pire est que la banque comme l’huissier mandaté par elle pour me persécuter ainsi avaient reçu la semaine dernière un courrier faisant état de mon surendttement, de mon chômage et de mon absence totale de revenu. Cela ne les empêche pas de vous pourrir l’existence par automates téléphoniques interposés. Le mec au soixante-quinzième étage de sa tour, dont la femme est partie avec ses gosses, dont le Pôle Emploi lui envoie une offre de merde par semaine depuis 654 jours et dont le caniche vient de mourir d’un cancer généralisé, il prend la communication et il saute direct par la fenêtre.
Toujours est-il que je suis comme un con devant ma box aux voyants endormis. Je passe une bonne part de mon temps dans le monde virtuel, et ce sevrage brutal me laisse désemparé. Un coup de fil à copain Jean permet de payer la facture, au prix d’une rallonge supplémentaire sur mon ardoise déjà conséquente chez lui, mais cela se fait dans les 24 heures au mieux. Je me tâte d’aller chez copine Peggy, mais c’est tout petit chez elle, ma fumée devient vite problématique, je n’ai pas de fric pour me payer un billet de transport et j’ai déjà fait l’aller-retour à pied, hier et ce matin. Non, je vais plutôt m’activer hors ligne, écrire pour ce journal, avancer sur mon roman, rendre et reprendre des livres à la bibliothèque, réduire la pile des lectures en retard, soulever des haltères, regarder cinquante fois mon frigo presque vide, maudire Orange, maudire Orange, maudire Orange…
J’affecte une probabilité de 80% au Nouvel An à Berlin. Copine Peggy a trouvé des apparts à louer à la semaine valant moins chers que trois nuits d’hôtel. Peu importe qu’ils soient loin du centre, j’en serais même ravi, j’aime déambuler dans les villes, et puis quand on n’est pas chez soi, tout est motif de curiosité, même un banal transport en commun. Le voyage se fera en voiture, tant pis pour l’effet de serre et tant mieux pour le porte-feuille. Copine Amélie n’est pas chaude pour venir, on verra le moment venu. Je me réjouis d’avance de fuir Paris et la France.
Je regarde des photos de Cindy Sherman, je ne me souvenais plus de ses séries Masks. Cela me fait penser que copine Natacha est complètement déprimée car elle ne trouve pas de temps ni d’espace pour faire de la photo non-alimentaire. C’est dingue comme notre génération (je la vieillis ou je me rajeunis un peu) aura vécu sous le spectre de l’ennui et de la rareté par rapport à la précédente, celle des Trente Glorieuses, quand tout semblait aller de soi. Bien sûr il faut relativiser, avec le prix d’un paquet de cigarettes on peut faire vivre une famille africaine pendant un siècle, et caetera. Mais la pauvreté des autres n’est pas un argument valable pour se laisser enfiler sans moufter le suppositoire de plus en plus large de la paupérisation inéluctable. C’est surtout une question d’ambiance générale, dans les pays à forte croissance comme la Chine, on voit plein de choses se passer malgré la répression, cela construit à tout va dans des projets urbains démentiels, les paysans se barrent enfin des campagnes, les classes moyennes et citadines émergent, elles ont envie de se construire une nouvelle vie et de coloniser la planète, cela fait plaisir à voir, au moins de loin et j’irais d’ailleurs volontiers tout près pour me faire un avis. Les vieux Européens, quant à eux, me font pitié, ils gèrent péniblement la ruine de leurs Etats providence, ils essaient de se convertir au libéralisme mais n’en ont pas du tout la mentalité et croient encore à la communauté ou à l’Etat, au fond, ils prennent un air grave et prétentieux pour avancer des projets emmerdants comme la pluie de gestion de la planète en bons pépères de famille, ils sortent en douceur de l’histoire et requalifient de sagesse ce qui ressemble surtout à un épuisement fondamental de leur énergie de vivre. Vivement que la jeunesse du monde balaie tout cela. Enfin… sauf si cette jeunesse n’a rien à apporter de plus de stimulant que lire un Coran en boucle.
Ce soir je vais marcher du Marais jusqu’à la Sorbonne pour aller voir The September Issue, le docu sur le bouclage de Vogue, j’espère que ma carte de chômeur me vaudra une réduc. Ce sujet léger me convient parfaitement.
lundi 26 octobre 2009
Merci
Je tape d’abord mes messages sur Word, et ensuite je les copie dans Blogger, l’interface qui héberge ce journal. C’est une habitude. C’est aussi pratique puisque de la sorte, je peux compter mes signes rédigés. J’en suis ici à 259.041 signes, ce qui fait une bonne moyenne en deux mois. À peu près autant qu’un roman de Nothomb ou un essai de Finkielkraut.
En janvier dernier, j’avais arrêté un blog et je m’étais juré de passer une année entière sans autre écriture sur Internet que des contributions de-ci de-là à des forums ou à des commentaires de blog. J’aurai tenu huit mois. Et c’est reparti, ici et sur un autre site consacré au sexe. Je ne peux pas m’en empêcher. Encore une addiction, dans une collection déjà riche.
Depuis que j’ai commencé à écrire, vers 18 ans, je n’ai jamais arrêté, au pire des pauses dépressives. Je suis incapable de dire combien de feuillets j’ai noircis sur le papier ou l’écran, mais cela doit se chiffrer en dizaines ou centaines de milliers. En incluant l’alimentaire, bien sûr, puisque je n’ai vécu que de mon écriture. À en juger par la rareté des mails du Pôle Emploi, j’ai l’impression que ce métier de rédacteur n’est plus très demandé. J’ignore pourquoi, il faut croire que mes contemporains s’expriment mieux. Ou peut-être que bien s’exprimer n’a plus une grande valeur ajoutée, il suffit de se faire vaguement comprendre par son interlocuteur. Surtout dans le monde des affaires, c’est-à-dire en tendance le monde tout court, où les chiffres importent toujours plus que les mots. Remarquez que je suis bon en calcul mental aussi.
À quoi obéit ma pulsion d’écrire ? En auto-analyse sauvage, elle est du même ordre que ma pulsion d’achat, une sorte de principe de dépense généralisé où je me sens bien lorsque j’ai l’impression d’avoir donné ou dilapidé beaucoup. L’écriture gratuite me plaît infiniment mieux que l’écriture commanditée, c’est lorsque cela ne me rapporte rien, ne s’inscrit dans aucun projet précis, ne répond à aucune contrainte ou urgence que j’éprouve le plus de plaisir à écrire. Ce petit lieu très confidentiel, où vous n’êtes que quelques dizaines à me lire, correspond parfaitement aux critères. Une autre raison tient probablement à ma difficulté d’entretenir une vie sociale normale. J’ai naturellement tendance à repousser les invitations « in real life » mais en même temps, et paradoxalement, j’adore échanger des idées, des sentiments, des informations. Écrire me permet de résoudre le paradoxe. Surtout depuis qu’Internet existe, ce qui aura été l’événement majeur de ma génération, et une bénédiction pour les gens comme moi (ou comme copine Peggy, ainsi qu’elle l’explique dans ce texte).
Et donc merci à vous, lecteurs inconnus, de partager un temps ce flux de mon existence.
dimanche 25 octobre 2009
Sur le quai des moribonds
RER D tout juste raté, 29 minutes d’attente, gare fermée, trop peu couvert pour la fraîcheur du soir tombant… fin du week-end banlieusard, et j’immortalise la désespérance des rails orphelins.
Tout à l’heure, mon père a confirmé sa bonne forme toute relative, ils ont probablement baissé les médications qui le transformaient en pur légume. Ce n’est certes pas brillant, aucune phrase cohérente, un œil noir et fixe, mais il a l’énergie d’aboyer « c’est dégueulasse » à l’infirmier tout miel qui lui tend avec componction un antibiotique. Car Clostridium difficile a fait son retour, la récidive interdit le transfert dans l’aile long séjour. Il engloutit le yaourt que je lui donne par petites cuillerées, je me dis que des marmots aux vieillards, j’aurais nourri tous les âges de la vie. Au loin, la vieille femme noire hurle un désespoir sans écho. Pas une fois où je n’ai entendu ses longues plaintes qui résonnent dans les couloirs. En sortant je passe par la cafétéria de l’hôpital, elle ressemble étrangement à un décor de films de zombie, avec les malades et leurs familles comme figurants. Au terminus de l’existence, les quais sont toujours sinistres.
Encore plus tôt dans la journée, déjeuner familial avec copains François, Caroline, Mathilde, Alexandre, Antonine, Amélie. Le repas dominical passe comme la plupart des repas dominicaux, dans un échange sans grande conviction de mots sans grande portée. Je récupère une soixantaine de livres et quelques outils, je désespère de l’étroitesse de mon appartement parisien. Côté régime, le week-end aura été gala, mais sans excès, je ne fais que grignoter. Le fuel manque dans la chaudière, un lit humide et froid témoigne de ma nuit sans rêve. Pour une raison que j’ignore, sans doute un précédent week-end où elle était seule disponible, j’en suis revenu à occuper dans cette maison ma chambre d’enfant et je me souviens de mes peurs d’alors.
Depuis le radiateur froid, j’entends encore battre un souffle venu des caves.
samedi 24 octobre 2009
La sélection du chiare le moins chiant ?
En allant poster des paquets ce matin, je croise des pères de corvée qui mènent leur enfant à l’école voisine. Le père de corvée se reconnaît à sa mine mal réveillée, si tôt un samedi, à son allure gauche, penché pour donner la main à son enfant, parfois à sa clope au bec qui lui attire le regard malveillant de quelques mères hygiénistes et sourcilleuses du bon exemple à donner à la jeunesse dès le plus jeune âge, ces mères qui matent en meute devant l’école, tel un digne troupeau de femelles prêtes à dévorer cru celui qui pourrait menacer un seul cheveu de leur précieuse progéniture.
Je me dis que les mômes sont effectivement une corvée, et je réfléchis qu’à la limite, ils sont une énigme darwinienne. (Les darwiniens sont ces êtres parfois insupportables qui examinent tout phénomène vivant en se demandant s’il est le fruit d’une adaptation sélective, qui posent en gros la question « mais comment a-t-on pu en arriver là ? »). Voilà un être très dépendant, dénué d’autonomie, qui a absolument besoin de ses parents pour survivre, qui a donc dû développer des stratégies de séduction pour capter cet investissement parental en ressources, soins, temps et énergie. Si le môme fait fondre si spontanément les cœurs, c’est aussi pour vider plus facilement les poches.
Et pourtant, cette sélection du chérubin le plus charmant ne fonctionne pas toujours bien, plein d’enfants poussent leurs parents à la séparation pour désaccord sur les corvées ou pertes de libido, et ils les poussent même parfois au crime quand ils hurlent trop dans leur berceau. Mais le problème n’est sans doute pas l’enfant, plutôt la famille nucléaire et séparée apparue avec l’ère bourgeoise. Un dicton africain apocryphe dit qu’il faut un village entier pour élever un enfant. Ce doit être vrai dans toutes les sociétés traditionnelles : les parents n’ont pas en permanence l’enfant dans les pattes, il y a une sorte de collectivisation des charges diverses et variées afférentes à l’élevage du petit animal humain. Ce qui n’existe plus aujourd’hui dans une grande ville moderne, sauf bien sûr les services genre crèche ou école dans la semaine, mais en dehors d’eux, la famille est un huis-clos souvent étouffant, et la stratégie du chérubin n’est pas forcément celle de chacun de ses parents. Surtout quand ça gueule, comme sur cette photo de Diane Arbus (Enfant en pleur, NJ, 1967).
Dans les vingt-quatre heures de ce samedi, plusieurs enfants seront battus ou tués ; plusieurs couples s’engueuleront, se tromperont ou se quitteront avec une enième querelle sur les tâches familiales comme facteur déclencheur. A long terme, cela signifierait que le régime de monogamie nucléaire séparée pourrait aboutir à une sélection positive des enfants les moins chiants, c'est-à-dire les plus adaptés à ce cadre de développement.
Quoique futile et gratuit, voilà qui me semble à tout prendre un motif matinal de réflexion plus intéressant que de savoir si OM-PSG sera reporté, question qui passionne pourtant en boucle France-Info, mais il est vrai que cette radio publique d’information généraliste consacre désormais une bonne moitié de ses plages horaires de week-ends et de soirées à commenter football et rugby.
Je pars à Montgeron dans l’après-midi, plutôt déplumé donc cela sent le Lidl à plein nez, pas trop déprimé donc j’envisage l’hospice paternel avec sérénité. Le plus ennuyeux sera les allers-retours nécessaires pour transvaser une partie de mes affaires vers Paris, celles que je n’abandonne pas à la saisie future.
vendredi 23 octobre 2009
Souffle du soir venu
D’une phrase d’une seule, saisir cette journée, voilà qui me semble une gageure et comme je commence à écrire, à la lueur tombante du jour, au cri des enfants qui sortent des écoles et des moteurs qui s’élancent vers leur week-end, il m’apparaît que rien de mémorable ne mérite sans doute d’être retenu, que tout dans mes dernières heures de veille fut simple répétition d’actes antérieurs, à quoi se réduit d’ailleurs l’essentiel de notre existence et il faut pour supporter cette absence évidente de nouveauté, pour accepter ce retour obstiné de l’identique, pour laisser s’accomplir sans remords le cours machinal des événements, il faut donc ne surtout pas prendre de recul, ne surtout pas s’interroger, ne surtout pas imaginer ce que nous aurions pu faire en des circonstances plus heureuses, ou simplement autres, il faut en dernier ressort ne pas penser du tout, tant il est vrai que la pensée de cette insignifiance nous plonge dans l’effroi ou la colère ou le spleen, selon son tempérament du moment, et qu’au bout du compte, tous ces gens allant riant vers une fête bruyante, une soirée paisible, un rendez-vous amoureux, un copieux festin, tous ces gens palabrant en terrasses des cafés malgré la bruine, tous ces gens entrant et sortant des commerces, tous ces gens avançant mécaniquement vers un destin déjà tracé, tous ces gens gommant le souci par la solide résolution de ne pas examiner la finalité dernière de leurs actes, tous ces gens-là, dont j’observe la vie cadencée du rebord de ma fenêtre, ont certainement approché le bonheur bien plus souvent que je ne l’ai fait, et si par quelque conversion eudémoniste je décidais à mon tour de chercher ce bonheur comme un but, je ne vois d’autre issue qu’une trépanation, un électrochoc peut-être, une violente catharsis susceptible de défaire tous les liens anciens de mes neurones et d’ouvrir mon esprit à la béatitude du même en sa réplication infinie, mais bien sûr, il me serait impossible alors d’écrire de si longues phrases, d’écrire quoi que ce soit en fait, puisque l’écriture résulte toujours d’une différence entre deux états dont elle tente une description et que sans cette différence, fut-elle minime, l’exercice même d’écrire se trouve absolument vidé de son sens, monotone enregistrement du cours d’un monde dont nous serions les objets inertes, et peut-être que les interjections de plus en plus brèves par quoi tendent à se résumer les échanges sur ce lieu virtuel où tombe mes mots expriment-elles au fond un désir de cette espèce, le devenir-objet d’un animal ayant bien trop pensé et parlé.
jeudi 22 octobre 2009
Au jeu des masques
Malgré l’abandon du régime Dukan dans sa phase d’attaque, avec pour seule rescapée la galette tenant lieu de petit-déjeuner, déjeuner et goûter réunis, je continue de perdre du poids : 64,7 kg ce matin, selon copine Terraillon. Rétrospectivement, je me demande ce que j’absorbais pour être si lourd. Se peut-il que l’alcool à lui seul m’empâte ? C’est bien possible. Dans ce cas, cela signifierait une relative insensibilité de mon corps aux plats gras. Il faudrait que je fasse une semaine McDo-Kebab à titre d’expérience. Mais cela ne me tente même pas, le régime du Maître est si efficace que mes nostalgies lipidiques ont été effacées, au moins pour le moment.
Journée presqu’entière de réunions diverses, l’horreur. Au bout d’un moment, assez rapide, je suis mal, je n’arrive plus à fixer mes pensées, j’ai absolument besoin d’être seul, de ne plus parler, de ne plus écouter, de ne plus me sentir surveillé, je regarde les gens autour de moi comme si un film se déroulait, mais un film où je me verrais comme acteur perdu dans un coin du champ. Ma difficulté à travailler en équipe – au moins dans le monde réel, parce que de manière virtuelle je n’ai aucun problème – m’aura coûté cher. Mais qu’y puis-je, je n’ai jamais aimé cela, les sports collectifs m’ennuyaient déjà à l’école, il me fallait quelques bons amis choisis et surtout rien de plus, le nombre m’encercle, le groupe m’oppresse, la foule m’étouffe.
Il y a quand même des choses intéressantes dans ces rencontres, bien sûr. Le matin, un chercheur du CNRS m’explique comment la linguistique permet de faire émerger l’idéologie implicite d’un texte, cela s’appelle sémantique des points de vue, on cherche des topoï. Je l’écoute et j’observe sa grande barbe, aussi sa jolie pipe d’écume. Il m’apprend que l’écume se désagrège vite. Lui ne peut se défaire de ses pipes favorites, et va jusqu’à les replâtrer lors que la combustion et le raclage ont fini par trouer le fragile matériau.
L’avantage de réunionner chez soi, c’est que l’on est tranquille pour fumer, pisser, boire du café. Ce n’est pas le cas l’après-midi, où une hystérique du développement durable (j’aimerais dire une pétroleuse, mais je crois que l’énergie fossile est mal vue) me casse les oreilles et les couilles avec un discours militant. Ah le militant… je comprends très bien que l’on milite à un moment de sa vie, par exemple quand on a des poussées d’acné et d’hormones vers 15 ans. Mais je suis toujours épaté par ceux qui poursuivent l’expérience au-delà, se dévouant corps et âme à la Grande Cause de leur vie. Cela dit, avec la dépolitisation et la désyndicalisation, le modèle se fait rare dans les générations émergentes. Mais pas de raison qu’il disparaisse tout à fait, le militantisme est la forme laïque et sécularisée des anciens engagements religieux, toute cause attirera toujours à elle les dévoués sectateurs et leurs communautés soudées. Comme je ne suis pas chez moi, je ne peux ni fumer, ni pisser, ni boire du café, je gratte sans conviction mon carnet de notes. Je regarde le bleu du ciel derrière la haute fenêtre. La table de réunion est immense, on doit pouvoir tenir à 25 autour d’elle. Elle occupe toute la pièce et la massacre en même temps, tout ce bel espace gâché pour la fade parlotte.
L’ordinateur du Pôle Emploi me propose un poste de traducteur d’allemand à Tulle. Cela tombe bien, je ne parle pas allemand et je souhaite rester à Paris. Évidemment, si l’on est radié des Assedic après avoir refusé trois offres dans ce genre-là, je comprends mieux le problème.
Je viens bientôt toucher mes revenus de vente Amazon, et pouvoir m’acheter un petit éclairage continu. Le plus difficile sera de transformer ce cagibi d’appartement en studio photo, mais j’y parviendrai, au moins pour des natures mortes, ou pour des portraits et séries en cadrages serrés. Là aussi j’ai plein de projets, trop, il faut que je discipline cela. Ces photos comme mon roman seront le socle de ma nouvelle mutation à venir – cela m’a d’ailleurs surpris que copine Sarah me renvoie vers Pessoa, car au-delà du Livre de l’intranquillité, elle ignorait sans doute combien je goûte anonymats, pseudonymats, hétéronymats, le jeu des masques en général. J’ai pu observer combien les gens accordent d’importance au nom, comme si cette identité, cette provenance, cette lignée étaient plus importantes que le contenu présent de notre action. Ils sont beaucoup à rêver de se faire un nom. J’aurai passé ma vie à me défaire des miens.
mercredi 21 octobre 2009
Je vous salue Witkin
Hier encore, avec copines Peggy et Natacha, nous avons regardé le documentaire de Jérôme de Missolz sur Joel-Peter Witkin (que l’on peut louer ou acheter en VOD ici, Mac malvenu et PC conseillé hélas), vieux déjà d’une quinzaine d’années. Je ne peux que vous le conseiller, le documentaire en lui-même est bien fait (montage simple, décomposition efficace du geste créatif, parole exclusive de l’artiste, pas de bavardage critique et soporifique dont l’art contemporain se fait une spécialité). Et son sujet vaut le détour. Witkin fait partie de mon panthéon. Son œuvre s’inscrit dans la lignée qui, de Bosch à Rustin en passant par Schiele, Grosz, Bacon et bien d’autres, puise son inspiration dans le corps problématique, le corps souillé, le corps torturé – le corps mort, enfin. Influence religieuse certaine (Witkin ne cache pas son catholicisme), quoique sans perspective de rédemption.
La société de consolation
Rencontrer une célibataire arabe, gagner 300 euros par jour, trouver une femme de ménage… je dois bien peu évoquer mon régime ces temps-ci, à en juger par les publicités que le robot Google place sur la page de garde. On ne peut pas dire que j’aide les braves gens qui tombent sur ce journal en glanant sur les moteurs de recherche quelques conseils pratiques dans leur quête du CORPS de RÊVE. Un régime, c’est un peu comme un mode d’emploi, on en suit scrupuleusement les directives et on obtient le résultat. Si le régime est efficace, bien sûr, mais il semble que Maître Dukan ne trompe pas ses disciples de ce point de vue. Les seuls conseils indispensables devraient finalement concerner la volonté de suivre les directives, c’est elle qui mène la danse.
S’il y a un dieu bon et tout-puissant, pourquoi le mal existe-t-il ? On cause de cela dans le poste ce matin, il paraît que des milliards de gens se sont posé cette question à travers les âges. Je me demande comment il est possible d’avoir une telle pensée, de perdre du temps dans ce genre de cogitation métaphysique. Chercher la solution arbitraire d’un problème dénué de sens, dès son énoncé… voilà donc ce que l’évolution a produit pour des milliards de cerveaux humains. Ce n’est pas une réussite, on sera au moins d’accord pour observer que la nature fait parfois mal les choses.
René est arrivé hier. René, c’est le chat de copine Natacha, elle a été le chercher dans un élevage du Perche. Comme tous les chatons ou presque, René est mignon. Du genre aimable, il ronronne comme une petite locomotive dès que vous le caressez. Les chats sont comme les humains, curieux de tout dans les jeunes années, revenus de tout dans leur âge adulte.
Devant l’église Saint-Paul, un corbillard sous la pluie. Trois croque-morts en uniforme, quelques familles floues sur le parvis humide, un pigeon indifférent picore un mégot.
Dans le métro en direction d’Olympiades, je crois reconnaître un homme barbu. Mais impossible de le situer dans ma mémoire. Cela m’arrive fréquemment, il doit exister des limbes de l’esprit, une zone floue où flottent des souvenirs indécis. Je pense à mon père, trois semaines que je ne l’ai pas vu, je pense à cette solitude dans des murs inconnus, je pense à ce silence dans les cris aigus des patients et les voix fortes des infirmières, je pense à la vie qui s’efface elle aussi, comme les souvenirs, comme toute chose, je pense à ceux qui cherchent consolation de ces misères dans un bon dieu et la trouvent sans doute. Heureux les simples d’esprit – mais je préfère encore la souffrance si ma lucidité a ce prix.
Pince-fesses à l’Institut pour fêter le nouveau site et l’année de travail qui l’a précédé, je décampe après dix minutes de brouhaha, quand on ferme les yeux et se concentre sur le flot confus des voix mêlées le tournis vient vite. À la sortie je passe à la médiathèque Melville, une biographie de Diane Arbus, une autre de Francis Bacon, un polar suédois. De quoi passer le temps quand la pluie bat mes fenêtres. J’aime cette grisaille uniforme et paisible des automnes. La réalité porte en elle et sa désolation et sa consolation, mais les hommes ne s'en satisfont pas, et leur société y trouve un puissant ciment.
S’il y a un dieu bon et tout-puissant, pourquoi le mal existe-t-il ? On cause de cela dans le poste ce matin, il paraît que des milliards de gens se sont posé cette question à travers les âges. Je me demande comment il est possible d’avoir une telle pensée, de perdre du temps dans ce genre de cogitation métaphysique. Chercher la solution arbitraire d’un problème dénué de sens, dès son énoncé… voilà donc ce que l’évolution a produit pour des milliards de cerveaux humains. Ce n’est pas une réussite, on sera au moins d’accord pour observer que la nature fait parfois mal les choses.
René est arrivé hier. René, c’est le chat de copine Natacha, elle a été le chercher dans un élevage du Perche. Comme tous les chatons ou presque, René est mignon. Du genre aimable, il ronronne comme une petite locomotive dès que vous le caressez. Les chats sont comme les humains, curieux de tout dans les jeunes années, revenus de tout dans leur âge adulte.
Devant l’église Saint-Paul, un corbillard sous la pluie. Trois croque-morts en uniforme, quelques familles floues sur le parvis humide, un pigeon indifférent picore un mégot.
Dans le métro en direction d’Olympiades, je crois reconnaître un homme barbu. Mais impossible de le situer dans ma mémoire. Cela m’arrive fréquemment, il doit exister des limbes de l’esprit, une zone floue où flottent des souvenirs indécis. Je pense à mon père, trois semaines que je ne l’ai pas vu, je pense à cette solitude dans des murs inconnus, je pense à ce silence dans les cris aigus des patients et les voix fortes des infirmières, je pense à la vie qui s’efface elle aussi, comme les souvenirs, comme toute chose, je pense à ceux qui cherchent consolation de ces misères dans un bon dieu et la trouvent sans doute. Heureux les simples d’esprit – mais je préfère encore la souffrance si ma lucidité a ce prix.
Pince-fesses à l’Institut pour fêter le nouveau site et l’année de travail qui l’a précédé, je décampe après dix minutes de brouhaha, quand on ferme les yeux et se concentre sur le flot confus des voix mêlées le tournis vient vite. À la sortie je passe à la médiathèque Melville, une biographie de Diane Arbus, une autre de Francis Bacon, un polar suédois. De quoi passer le temps quand la pluie bat mes fenêtres. J’aime cette grisaille uniforme et paisible des automnes. La réalité porte en elle et sa désolation et sa consolation, mais les hommes ne s'en satisfont pas, et leur société y trouve un puissant ciment.
mardi 20 octobre 2009
Connaissez-vous le préfou ?
Le Danemark et ses falaises, la Vendée et ses dunes : copine Natacha et copain Stéphane nous racontent leurs longs week-ends respectifs, cela ravive mon envie de quitter quelques jours Paris où seule la pénurie me retient tous les jours de la semaine. Je n’aime rien tant que fuir la Capitale pour passer deux ou trois jours dans un coin terriblement paumé, par exemple un hôtel au papier peint désuet d’une sous-préfecture aux rues mornes, le genre de lieu houllebecquien qui vous surprend toujours par des détails improbables.
Si vous êtes en pleine phase d’attaque du régime Dukan, je vous déconseille totalement le préfou, cette pitance vendéenne simplement formée d’une baguette remplie de beurre et d’ail, que l’on chauffe au four. On en vend là-bas un peu partout et Stéphane nous fait apprécier la spécialité locale.
À la radio, j’entends que des grandes entreprises tentent en ce moment d’interdire que l’on pointe des liens hypertextes vers leur site. Touche pas à ma belle vitrine, espèce de malpropre. C’est amusant comme certains capitalistes prétendent sélectionner les bonnes et les mauvaises libertés, les premières étant bien entendu celles qui maximisent leur profit, les secondes celles qui les menacent. On l’avait déjà vu avec l’industrie multinationale du disque, toute ravie que l’Etat-gendarme à son service matraque l’internaute partageux, copains millionnaires et coquins fonctionnaires main dans la main, avec quelques artistes jouant le rôle d’idiots utiles en bons intermittents du spectacle. Peut-être qu’à un certain seuil de taille ou de complexité, toutes les organisations privées comme publiques finissent par se comporter de la même manière, renforcer leur pouvoir, protéger leur territoire, neutraliser leurs adversaires par tous les moyens, et ainsi de suite. Jadis elles employaient la force, poudre et baïonnette, aujourd’hui c’est le droit, avocat et procédure. Quand on me dit que la loi protège de la force, je n’en crois rien, ou plutôt c’est devenu marginal à mesure que les agressions physiques ont reculé : la loi n’a aucune pureté mystérieuse, elle est faite par les hommes, donc par leurs intérêts, et lorsque ces intérêts sont en conflit, le plus fort l’emporte d’une manière ou d’une autre. Le processus est insidieux, invisible, il n’a rien de brutal ni de spectaculaire, mais rien d’aimable non plus, on veut toujours vous contraindre à une certaine attitude.
En rendant mes livres, le front de la bibliothécaire m’attire l’œil : je n’ai jamais vu de telles rides, ce sont de minuscules plis, d’infimes rigoles qui s’ouvrent et se ferment au moindre mouvement, comme les sillons d’un désert balayé par les vents. Mon Pessoa n’a toujours pas réapparu et je suis agacé de voir que, contrairement à ce que m’a dit hier l’ordinateur central du réseau parisien des bibliothèques, ils ont bel et bien le Journal de Kafka. Je l’ai commandé cette nuit en poche, dans une édition qui n’est peut-être pas la meilleure, alors que je l’aurais emprunté ici si j’avais été correctement informé.
Ne vous inquiétez pas trop si ce blog devient silencieux, Orange menace de couper ma ligne si je ne règle pas deux prélèvements en retard, rejetés l’un après l’autre par une banque navrée de l’ensemble vide formé par mon compte. Je crois que de toute ma vie, pas un seul de ces prélèvements réguliers n’a été émaillé d’incidents, je suis infoutu de conserver le minimum en caisse. Encore ai-je quelques excuses pour la période récente, puisque je vide soigneusement mes comptes afin que les tiers-détenteurs des créanciers courroucés frappent à côté de leur cible. Que de temps perdu dans ces chicanes, je suis lassé.
Un redoux s’est installé, avec lui les nuages, le jour glisse déjà sans bruit vers la nuit.
lundi 19 octobre 2009
M4 T3 H4, chimie du jour
M4. Après un réveil fort matinal, donc, je marche jusqu’à Rambuteau et j’embarque sur la ligne 4, destination porte de Clignancourt. J’y ai rendez-vous avec copain Jean pour qu’il me file un peu de fraîche, le statut de chômeur en attente de RSA n’étant pas le plus rémunérateur. Le quartier est miséreux, devant le McDo des mendiants exhibent des membres atrophiés et rougis par le froid. On ne s’est pas donné rendez-vous au bon endroit pour nos affaires : impossible de trouver un distributeur automatique à moins de 500 mètres. L’argent va à l’argent, autant dire qu’il déserte ce genre de faubourg. Malgré la crasse ambiante, ou à cause d’elle, une vie certaine se dégage des rues, où je croise parfois de beaux immeubles. Le mètre carré y est deux fois moins cher que dans mon haut-Marais (dit aussi basse-République), cela donne à réfléchir : faut-il privilégier l’espace intérieur ou les abords immédiats ?
T3. De Clignancourt je fends Paris par la 4 à nouveau et j’atteins la porte d’Orléans, d’où j’emprunte pour la première fois le tramway 3 en direction de la porte de Versailles. L’engin est plutôt agréable, un mixte de bus et de métro, j’observe le conducteur qui régule encore la vitesse de la course par une manette. Serais-je Claude Simon que j’en ferais un roman. J’aime bien les tramways, on en croise énormément en Europe centrale, orientale et nordique, j’aime surtout les vieux modèles à la ferraille couinante dont l’alimentation électrique et anarchique zèbre l’air des rues. Je ne serais pas foncièrement hostile à l’interdiction de la voiture dans Paris, dans les grandes villes en général, à condition évidemment d’avoir des transports publics plus performants. Et des porteurs pour mes achats, cela va sans dire. Comme l’énonçait le slogan des années 1970, la voiture ça tue, ça pue et ça pollue. Elle apporte une inestimable liberté pour les grandes balades, elle est une condition de base de la survie en campagne, mais dans les métropoles surpeuplées, sa valeur ajoutée devient discutable.
H4. Arrivée à destination, le Salon de la photo, hall 4 du Parc des expositions. Où je ne trouve rien de folichon. Je prends de la doc de ci de là, j’achète un ancien numéro de la revue De l’air. Jetant un œil ennuyé à l’expo rapidement montée en hommage à Willy Ronis, j’entends un gars parler du photographe « inspiré par l’amour du prochain ». On dit que les bons sentiments ne font pas de la bonne littérature, j’ai un peu le même avis pour la photographie, dont la production dite « humaniste » m’ennuie par la fréquence du noir et blanc, et surtout la répétition des mêmes thèmes : le gentil petit poulbot qui saute dans sa flaque de boue, le gentil petit ouvrier fier et digne dans son usine, les gentils petits amoureux qui s’embrassent dans leur ruelle, le gentil petit artisan qui s’accroche à son échoppe, ad nauseam… Tout cela est sympathique, joli, marrant, tout cela peut avoir un intérêt historique ou ethnographique, mais tout cela reste pour moi de l’illustration, et souvent d’AOC Épinal.
Oui, mais est-ce qu'il la porte à gauche ou à droite?
Certes, je suis tombé du lit à 6h55, certes j’avais plein de choses à faire, mais tout de même, je n’ai pas rêvé malgré mes yeux gonflés et mes neurones coincés d’un trop court sommeil : à l’aube, je suis allé sur l’un des blogs de copine Peggy, j’ai lu un message, j’y ai posté un commentaire… et voilà que tout a disparu en ce milieu d’après-midi.
Reprenons depuis le début cette histoire de cornecul qui faisait l’objet dudit message. Avec des pincettes car la diffamation étant ce qu’elle est, et les cons ce qu’ils sont, je n’ai pas envie d’être emmerdé pour mon si paisible journal.
Donc un producteur que je ne nommerai pas d’une émission que je ne nommerai pas d’une radio publique et culturelle que je ne nommerai pas dispose ou disposait comme tout le monde (sauf moi) d’un profil sur un célèbre réseau social que je ne nommerai pas. Et là, si l’on en devait en croire les ragots infâmes issus d’un site que je ne nommerai pas disparu à la suite de la plainte d’un célèbre cabinet d’avocats que je ne nommerai pas, notre homme donc se livre à une activité tout à fait banale pour un mâle branché, la chasse à la chatte, entendez par là drague tous azimuts avec ses contacts du réseau de genre femelle, vous savez ces animaux à seins dotés d’un orifice de plus que le mâle. Selon des potins diffamatoires auxquels nul ne prête évidemment la moindre teneur en vérité, notre homme manipule avec une aisance remarquable les outils de communication moderne. Usant de l’appareil photo intégré au mobile comme de la webcam, et doté d’un sens artistique digne de Matthias Herrmann, il gratifie ainsi ses correspondantes de photographies de son zob en érection, au demeurant d’un flatteur format XL si nous devions accorder le moindre début de crédit à ce monceau de bobards. Mais voilà, une éconduite (peut-être plusieurs) s’est vengée en publiant un site qui exposait tout cela sur la place publique, et même un peu plus, des détails sur la vie privée de notre homme, comme les prénoms de ses deux filles, Carotte et Courge de mémoire.
Comme les innommables protagonistes sont du genre procédurier, ils somment à tout va de fermer les sites évoquant cette affaire pourtant imaginaire. Mais vous remarquerez que je ne cite personne et que je ne prête foi à aucune de ces billevesées.
Quelle morale puis-je déduire de cette fable ? En fait, aucune, je colporte simplement la rumeur assurément infondée. Je parlais hier des cours et courtisaneries qui surpeuplent chaque instance de décision de notre pays, en voilà une petite, toute petite illustration de nature bien entendu fictive. Si je n’avais déjà un mépris infini pour les réseaux sociaux, cela pourrait éventuellement en ajouter une dose, mais comme l’infini ne peut par définition être encore augmenté, il n’en est rien. D’ailleurs c’est le bon mot de la fin, rien.
dimanche 18 octobre 2009
Cillit Banger le mental hexagonal
Contrairement à hier, lever en pleine forme ce matin. Le soleil brille, il est tôt, il fait frais, je décide de remettre à demain ou à l’an prochain ma visite au Salon de la Photo, aidé par ma répugnance atavique à fréquenter des lieux trop peuplés. J’ai envie d’écrire, je rentre chez moi, la traversée du Marais est divine à cette heure encore déserte. Les feuilles mortes me font des clins d’œil, elles aussi détestent se faire piétiner par les hordes de promeneurs du dimanche, je leur transmets toute ma sympathie.
Copine Terraillon m’estime à 65,5 kg, le yo-yo m’aura décidément épargné. Dommage que je ne puisse fêter cela d’un repas de gala. Je n’en soulève les haltères qu’avec plus d’ardeur.
Je passe mon dimanche à lire et écrire. J’ai trouvé l’axe d’évolution de mon roman, je rédige vite, on verra à l’arrivée si cela tient la route. Il en va ainsi, du moins quand je tâte de l’écriture littéraire, une première frappe très rapide, suivie d’un très lent travail de détail. Le plus dur mais le plus nécessaire étant alors de faire disparaître les mots et phrases le méritant. Et dieu sait qu’il y en a.
Dans Wired, édition américaine, un dossier sur les « idées dangereuses » : chaque année, la rédaction met en avant divers projets susceptibles selon leurs promoteurs de faire évoluer les pratiques et les mentalités. Cet automne, cela va de la libéralisation du clonage humain à la suppression des prisons en passant par la légalisation du suicide assisté ou la fin du secret médical. En lisant, je repense aux dizaines de fois où j’ai entendu dans des rédactions parisiennes le mantra : «nous allons faire le Wired français». Et bien sûr, jamais la France n’a connu l’équivalent d’un Wired, la mentalité californienne, technophile, libertaire, provocatrice ne tiendrait pas deux numéros chez nous, les annonceurs s’enfuiraient, les ligues de vertu crieraient au scandale, les lecteurs ne seraient sans doute même pas au rendez-vous. Tout ce qui a voulu de près ou de loin ressembler à un Wired souffrait inexorablement de l’absence de liberté de ton et de fraîcheur de pensée qui caractérise notre pays, où l’on doit prendre un air consterné et constipé quand on avance une proposition, où l’on doit se demander si cette proposition ne va pas par malheur blesser une minorité, offenser un culte, augmenter les inégalités, aggraver les handicaps, inférioriser les femmes, pousser les suicidaires à l’acte, ébranler le CAC 40, irriter les fonctionnaires, provoquer une crise de psoriasis à l’Élysée, déplaire finalement à la hiérarchie rédactionnelle qui réplique fidèlement les cours et courtisaneries dont regorge le pays, où l’on finit donc par se castrer le cerveau et par répéter ce que dit le voisin, ou alors par donner dans la prudente provocation à la petite semaine, le plus souvent dégoulinante de bons sentiments humanitaires et n’effrayant évidemment personne.
Heureusement que la pensée s’évade naturellement des lieux et des liens, sans ce refuge on se cognerait la tête sur les murs compacts de nos prisons.
Quand je me noie ainsi dans des abîmes de réflexion, j’adore trouver pour bouées des petites activités très prosaïques me ramenant cinq minutes sur Terre. Récurant mes chiottes et lavabo, je peux donc vous garantir que Cillit Bang est incontestablement plus efficace que ses concurrents, en l’occurrence deux autres produits de marque Leader Price que j’avais achetés pour comparer. Le flacon annonce : «surpuissant contre les taches et moisissures tenaces». Voilà, la pensée française aurait besoin elle aussi d’un bon coup Cillit Bang…
Parousie de l'incunable ? Sur le livre électronique
Je reçois un courrier d’Amazon m’invitant à devenir partenaire de la promotion en France du Kindle, c’est-à-dire le livre électronique. Serais-je dans une période faste que j’en aurais acheté un, juste pour voir.
Je suis un chaud partisan du livre électronique et à vrai dire, celui-ci n’aura pas besoin de mon soutien pour s’imposer à la planète. Certains affirment que le livre a un statut spécial et qu’il échappera par on sait quelle mystérieuse et magique vertu au puissant mouvement de numérisation totale ayant déjà intégré le son et l’image. Ces conservateurs de l’âge Gutenberg se trompent totalement. Soit ce sont des acteurs de la chaîne du livre papier, et ils parlent au nom de leur intérêt, à la rigueur ils sont aveuglés par le manque de recul dû à leur activité. Soit ce sont des personnes souffrant d'un défaut d’imagination ou de bon sens. Aucun lecteur digne de ce nom ne peut être insensible à la promesse de base du livre électronique : rendre accessible partout et à tout moment une part croissante du patrimoine imprimé de l’humanité, jusqu’à ce rêve de bibliothèque universelle où tout ce que l’homme a jamais écrit se trouverait encodé, infinie mémoire externe qui serait chaque jour, chaque seconde, augmentée de nouveaux écrits de sorte que la Babel borgesienne deviendrait réalité immanente, jeu de flux invisibles connectant les terabits aux neurones, la silice à la chair, la pensée à elle-même.
Ce qui manque au livre électronique pour le moment, c’est le support idoine, capable de reproduire le confort de lecture de l’impression papier. Mais nous progressons tout doucement vers cela et comme tous les autres marchés technologiques de ce type, il suffit d’attendre la bonne offre au bon moment, celle qui va ouvrir le passage de la tribu avant-gardiste vers le marché de masse, celle qui va booster d’un seul coup la compétition des grands fabricants de machine d’un côté, des grands portails de contenu de l’autre. Quand une telle évolution est engagée, elle devient irréversible et rapide, c’est ce que l’on appelle l’effet Reine rouge en biologie : chacun doit courir un peu plus vite pour se maintenir au même niveau que tous les autres, le rythme global de la course s’accélère car chaque petit pas d’avance à un endroit entraîne une progression partout ailleurs – ou l’élimination du moins performant.
Ne croyez pas pour autant que je suis insensible au livre comme objet. Je suis né et j’ai grandi avec lui, j’ai humé toutes ses colles, j’ai caressé toutes ses reliures, j’ai soupesé tous ses papiers, j’ai goûté tous ses plaisirs. Bien loin de tuer le livre-papier, son fils électronique devrait engager par rétroaction une métamorphose du père. Lequel va retourner en enfance : l’incunable redeviendra la règle. Je m’explique.
Du point de l’utilité ou de la fonctionnalité, le livre papier n’a désormais aucun intérêt par rapport au livre électronique, sauf le détail technique du repos de l’œil par le contraste idoine encre-papier, déjà mentionné ci-dessus comme principal obstacle à la consommation numérique de masse. Sinon, le livre-papier est lourd, encombrant, inaccessible, cher, il ne permet pas la fluidité prodigieuse de l’hypertexte, il interdit la citation ou la note par un simple copier-coller rapide de mise en mémoire, il n’est jamais disponible quand on le cherche chez son libraire de quartier. Du point de vue du plaisir et de l’esthétique, en revanche, le livre comme objet n’a aucune raison de craindre la concurrence des morceaux de plastique que seront les tablettes électroniques, quand bien même Apple mettra son habituel point d’honneur à se différencier par des formats et des couleurs originaux. Mais cet avantage du goût, le livre ne pourra en profiter que s’il redevient pleinement un objet artisanal ou artistique, et non plus l’objet industriel bâclé qu’il est dans 95 % des cas devenu, imprimé à la va-vite sur du mauvais papier dont on hésiterait à faire un PQ, avec une mauvaise colle qui abandonne vite ses feuillets au vent, une mauvaise couverture paraissant maquettée par un étudiant en première année de BTS arts graphiques.
Tout cela forme aussi l’arrière-plan de mes grandes hésitations existentielles relatives à une future et éventuelle auto-édition de mes livres. L’auto-édition n’a aucun intérêt s’il s’agit de faire comme l’hétéro-édition traditionnelle en moins bien, ce qui est généralement le cas. En revanche, si l’objectif est de concevoir chacune de ses productions comme une petite œuvre d’art, d’introduire de légères variations sur les tirages, d’individualiser en dernier ressort chaque volume pour chacun de ses lecteurs, alors cela prend sens de s’auto-éditer, parce que l’objet-livre participe pleinement de la création, et de la naissance d'une secrète communauté autour d'un auteur, en quoi consiste aussi la littérature.
samedi 17 octobre 2009
Flemme
Pascal Quignard écrit encore : «Il arrive que la nuit ne se retire pas tout entière des jours que nous vivons. Nos corps ont alors en plein jour des réactions qui ne sont pas synchrones». Coïncidence frappante : c’est très exactement l’état où je me trouve en lisant ce passage. Coucher tardif cette nuit, d’un sommeil trop lourd, lever lui aussi tardif, d’un éveil difficile, indéfinissables souvenirs de rêves qui se tapissent dans l’ombre, mal aux reins inédit. Et avec cela, un temps imprévisible qui alterne joli soleil et brusque pluie, un samedi où les rues du Marais deviennent une invivable autoroute de poussettes. J’accompagne copine Peggy chez un opticien de la Croix de la Bretonnerie, nous allons ensuite à la galerie Wanted chez les Rois de Sicile, puis je retourne chez moi, même pas le courage de pousser jusqu’à Rougié & Plé pour acheter de la terre à modeler.
Une multitude de petites choses à faire, et pourtant peu d’énergie à y consacrer, du coup l’éparpillement des tâches devient un piège, il manque la volonté pour ordonner tout cela et éliminer méthodiquement les obligations qui, prise une à une, ne représentent pourtant pas grand-chose. Alors je m’abandonne à des petites activités futiles, et parfois vengeresses comme celle-ci :
On se souvient que j’avais choisi La barque silencieuse à la bibliothèque, et je dois le rendre dès mardi prochain car les nouveautés ne s’empruntent qu’une semaine. Je ressens cette contrainte de temps avec agacement, surtout que les ouvrages de cet auteur n’étant pas des récits, ils peuvent se lire à un rythme choisi. Et j’aime par-dessus tout choisir mon rythme. Ce n’est que le cas particulier d’une susceptibilité très générale au temps : il suffit que j’aie un rendez-vous pour être accablé à la seule idée de ne pas disposer d’une plage continue d’heures devant moi.
Pour soulager mon dos, je vais m’oindre de Baume du Tigre, antidouleur qui est à l’Orient ce que le Synthol est à l’Occident. Demain matin, je dois être en forme pour aller dès le réveil au Salon de la Photo de la porte de Versailles, rendez-vous où je n’ai jamais mis les pieds et dont je suis curieux. D’ici là, m’affaler sur mon canapé et rattraper des lectures toujours en retard me paraît un excellent programme minimum, à soigneuse distance des fièvres du samedi soir.
La décompression de sa race
Madame Fisc s’étant emmêlée les pinceaux dans ma déclaration, je retourne au Centre des impôts pour la seconde fois de la journée, afin de récupérer un papelard qui me servira de sésame pour diverses procédures. Et cela après que madame Banque m’a imposé une demi-heure de retard sur le rendez-vous prévu. Autant dire que ces courtelinesques dames m’ont mis les nerfs à vif. Sur un banc de la rue des Archives, une vieille couine «une petite pièce s’il vous plaîîîîît monsieuuuuuur, madaaaaaaaaam’», sa voix haut perchée perce les tympans et n’incite guère à la charité, on a surtout envie de lui coller un morceau de sparadrap pour éteindre la stridulation. Quel que soit le moment de la journée, je la croise toujours à la même place prononçant toujours les mêmes paroles. Ce doit être redoutablement fastidieux de ne faire que cela de ses heures.
En début d’après-midi, je rate une galette Dukan, cela ne m’était pas arrivé depuis bien longtemps. Elle se décompose misérablement dans la poêle quand je tente de la retourner. Je finis par comprendre la raison : je n’y ai mis que du son de blé pour terminer le paquet. Or, contrairement au son d’avoine et comme nous l’enseigne Maître Dukan, le son de blé n’est pas hydrosoluble. Il manque logiquement à ma galette son caractère compact. J’en mange les débris épars, satisfait de mourir moins bête en cas d’étouffement.
Copine Antonine passe faire une lessive. Tout le monde m’a dit qu’Uniqlo est blindé depuis son ouverture, nous n’en décidons pas moins d’aller visiter le flagship japonais. Et c’est blindé, environ 25 mètres de queue aux caisses, des clients affairés partout. Le rayon homme n’est pas très excitant, je prends quelques fringues à bas prix d’ouverture pour tester la qualité nippone.
Dans la soirée, copine Peggy donne une lecture à la Maison des Métallos. J’arrive une heure avant la clôture annoncée, mais trop tard malgré tout, performances, projections et lectures viennent de s’achever. Elle a été très applaudie, je suis content pour elle. J’ai juste le temps de croiser copain Ruwen qui termine un essai sur le sexe et l’argent, et me propose d’en prendre connaissance pour une lecture critique. J’accepte volontiers, la production de Ruwen est toujours un enchantement pour l’esprit. C’est un philosophe analytique, espèce plutôt rare dans nos contrées phénoménologiques, déconstructionnistes et autres herméneutiques pompeuses et pompantes, dont la complexité m’a toujours paru inversement proportionnelle à la fécondité. Avant de quitter les lieux, j’ai encore l’occasion de vanter les mérites de Maître Dukan auprès de copine Maryline. Elle me suggère de publier une photo de nu afin que tous mes lecteurs puissent juger sur pièce. Je lui explique que je n’ai pas encore atteint le stade du CORPS de RÊVE, mais je retiens l’idée.
Avec copain Stéphane, nous marchons d’un bon pas vers le repas de gala, qui se tient ce soir au restaurant tibétain juste à côté du Cirque d’hiver. La nourriture est excellente en même temps que l’adresse assez peu fréquentée, ce qui est rare. Copine Peggy a surpris un type bien mis, genre jeune cadre Men in Black de chez Brother, Brother & Brother, en train d’écrire en texto : « ce week end je vais me mettre ma race, faut que je décompresse ». Un propos gravé dans le marbre de la connerie ambiante, qui promet de devenir un running gag.
Dans La barque silencieuse, Quignard écrit : «J’appelle athée celui qui vit sans dieux, dont l’âme est sans foi, dont la conscience est exempte de peur, dont les mœurs ne s’appuient pas sur des rites, dont la pensée est sauve de toute référence à dieu, diable, démon, hallucination, amour, obsession, dont la mort est accessible à l’idée de suicide, dont l’après-mort est néant».
Il semble que je suis athée.
vendredi 16 octobre 2009
Ce que vous n'avez jamais voulu savoir sur le sexe et que je vous dis quand même
À 9h00 pétantes je me retrouve devant l’Office dépôt du boulevard Sébastopol, pour acheter du papier kraft, du papier bulle et des cartons – cartons ayant la bonne idée d’être dépliés à une dimension parfaitement calculée pour vous faire souffrir au maximum quand vous les portez. Et quand j’arrive en caisse, bingo, j’ai oublié mon portefeuille, je gagne 20 minutes d’aller-retour à pied supplémentaires. Tout cela pour envoyer une volumineuse somme que j’ai vendue sur Amazon. Il est ainsi des débuts de journée dépressifs.
Hier, Nicolaï Lo Russo, jeune écrivain de la littérature verte chez Léo Scheer, m’a fait le plaisir d’un commentaire et je m’en avise ce matin. Cela concerne le film d’Ovidie, la pornographie en général. Je réfléchis à cela en suant les bras pleins de cartons dans des rues pleines de voitures.
Nous sommes génétiquement programmés pour considérer le sexe comme une chose spéciale, importante. C’est-à-dire : nos gènes (et leurs programmes épigénétiques) sont la seule chose qui se transmet avec l’hérédité biologique, nous-mêmes existons car ils ont été transmis sans discontinuité depuis trois milliards d’années, aussi ces gènes ont-ils mis en place des programmes cognitifs et comportementaux destinés à optimiser leur propre réplication, en l’occurrence à nous faire chercher des partenaires sexuels, ou alors à protéger ceux que l’on a déjà trouvés. Ces gènes ne sont pas des petits homoncules dotés d’une volonté, bien sûr, c’est plus simple que cela : nous avons tous des gènes un peu différents et certaines versions se retrouvent à la génération suivante, pas les autres. Imaginez par exemple qu’un gène existe en deux variantes, dont l’une est associée (même par une influence indirecte) à la jalousie et l’autre non. Eh bien au bout de 10, 100, 1 000 générations les porteurs du gène jaloux seront probablement un peu plus nombreux que les autres, car ils auront un peu mieux évité que les autres l’infidélité de leur partenaire, et donc ils se seront répliqués plus efficacement. C’est ainsi que cela se passe, dans l’évolution, en douceur, par des petits avantages individuels qui se répandent progressivement dans une population. Enfin je simplifie, évidemment.
Mais bref, NLR disait en substance dans son commentaire que l’on trouve du X partout et que cela pose question. Je pense que l’on a toujours trouvé partout de la pornographie, depuis les énormes vulves et phallus préhistoriques jusqu’aux productions Marc Dorcel, et que seules des mentalités bizarroïdes comme celles des religions monothéistes font des fixations névrotiques sur cette question. En même temps, et vu ce que j’ai dit avant, il est sans doute inévitable que le sexe soit source de névrose dans une certaine part de la population, les curés, rabbins et imams ne font que prospérer sur cette base psychologique.
Selon certaines hypothèses scientifiques qui me plaisent, et sur lesquelles j’aimerais bien écrire un bouquin, notre cerveau est massivement sexué, il est né de la sélection sexuelle elle-même, un grand nombre de choses « inutiles » en apparence, c’est-à-dire coûteuses en temps et en énergie, ont pu émerger parce qu’elles permettaient de séduire, comme par exemple chanter, danser, peut-être même parler. Ce qui est fascinant avec l’espèce humaine, c’est ainsi le grand détour nécessaire pour arriver au même résultat que n’importe quel animal, à savoir baiser. Et aussi les « mauvais » câblages du cerveau, c’est-à-dire tous les fétichismes, toutes les paraphilies, toutes ces bizarreries minoritaires et intimes dont la sexualité regorge et qui démontrent à leur manière la puissance du câblage sexuel de nos réseaux neuronaux.
jeudi 15 octobre 2009
Tâche rouge sur fond gris
Elle traîne dans ma rue, son territoire, et dix fois par jour je l’entends interpeller le flâneur, le promeneur, le facteur, l’éboueur. Parfois le vide. Quelle femme étrange ! Si femme est encore le bon mot. La créature ne doit pas dépasser le mètre quarante, son corps est trapu, toujours emmitouflé dans les mêmes vêtements, petite tâche rouge dans les saisons froides, et grise dans les chaudes. Ses traits cumulent toutes les tares qu’un mauvais génie aurait pu imaginer sur son berceau malchanceux, de grosses lunettes à foyer, le cheveu gras en épi, rare par endroits, noir versant déjà sur le gris, une moustache à poil épars comme en exhibent les adolescents. Et quelques bourgeons se partageant le fief d’une peau épaisse.
La créature n’a pas d’âge. Et pas de sexe non plus. Je l’appelle femme par convention, la neutralité de la créature lui sied bien mieux.
Vous pensez certainement que j’enlaidis le tableau à dessein : il n’en est rien, telle est la rombière qui arpente la rue sous ma fenêtre. Il arrive que les êtres laids compensent leur disgrâce d’un heureux caractère, mais une telle balance est étrangère à la créature. Sans cesse elle crie, d’une voix au ton haut perché reconnaissable entre toutes, un timbre immédiatement agressif. Elle houspille le passant médusé de phrases exclamatives et vengeresses. Qu’un imprudent traîne trop longtemps et là voilà qui surgit de nulle part, et proteste, et rouspète, et vitupère, menaçant souvent d’appeler la police. Sommation inutile car sa prestation suffit à maintenir l’ordre sur son territoire, à ce que j’en observe du balcon : l’interpellé ne sait pas sur quel pied danser face à la furie obstinée aboyant autour de lui comme un vieux chien de ferme gardant sa cour.
Elle est probablement concierge d’un immeuble voisin, mais je la vois entrer et sortir de plusieurs porches, comme si elle empruntait quelque passage secret. Quand je la rencontre en revenant de mes courses, je ne croise jamais son regard derrière les gros verres, d’une très courte œillade elle m’évalue, reconnaît sans doute un habitué discret, scrute à nouveau droit devant elle à la recherche du prochain motif d’altercation. Tout en elle est rigide. C’est un animal aux aguets, et dans ma compassion, je me la figure parfois en animal solitaire, blessé des ingratitudes de sa naissance.
Un jour, la créature va mourir. Les murs s’étonneront de ne plus entendre ses cris, et les passants continueront de passer, d’un trot paisible dont ils ignoreront l’aubaine.
La mobilisation des corps
Après l’avoir laissée trois jours sous son blister, je déguste enfin ma rétrospective Mikhailov. Comme ce détail de la série Susi and Others, parmi mes favorites, on n’y voit pas vraiment des CORPS de RÊVE. Ce que j’aime chez Mikhailov, comme chez Arbus et quelques autres, c’est la non-idéalisation de leur sujet, un sentiment immédiat de distance, pour moi le contraire d’une tradition française à la Cartier-Bresson, Ronis ou Depardon, tradition qui m’ennuie avec ses images d’Epinal ouvrières, paysannes, citadines, ce monde toujours propret, toujours digne, sale juste comme il faut, surtout pas trop.
Aux dernières nouvelles, le gouvernement entend interdire la vente de tabac sur Internet, augmenter de 10 % le prix du paquet, agrémenter ce même paquet de photographies de poumons calcinés, mâchoires édentées, faces livides en phases terminales. Les instances locales de la biopolitique universelle ont parfois recours au CORPS de CAUCHEMAR pour asseoir ainsi leur emprise, les nazis faisaient dans le même registre avec des portraits de « tarés » et « dégénérés » censés souiller le sang aryen. Ce point Godwin est-t-il déplacé ? Oui bien sûr, les nervis nazis voulaient le mal, les serviteurs de Sarkozy veulent notre bien. Mais un pouvoir qui veut mon bien, moi, cela me rebute. Je ne demande pas au pouvoir de disparaître car je crois la chose impossible, un pouvoir qui prétendrait avoir disparu aurait sans doute réussi la plus effrayante dissimulation de son omniprésence. Non, je demande à tous les pouvoirs, s’il me condamne à quelque servitude, d’avoir pour seule honnêteté de ne surtout pas le faire au nom de mon bien ni de mon mal, de le faire plutôt au nom d’une quelconque raison qui leur est propre et que je puisse juger comme telle.
Il me prend comme une envie de pisser de passer le jour de l’An en Allemagne, et je regarde aussitôt le tarif Paris-Berlin sur le site de la SNCF. Pour trois personnes, l’aller seul coûte 546 euros. En voiture, c’est 130 euros carburant et péages compris. Au lieu de nous gonfler les gonades avec des généralités généreuses sur l’effet de serre, les développeurs durables devraient plutôt donner de bonnes raisons de préférer le rail à la route ou à l’avion. L’Allemagne en hiver, c’est aussi reposant qu’un épisode de Derrick, et assez de loin de la France que je n’aime guère en cette période précise. Tout y est en demi-teinte, sauf le 31 décembre au soir où, là-bas, ce sont les habitants qui font exploser à chaque coin de rue des mini feux d’artifice, dans un joyeux déchaînement général. Avant de reprendre le lendemain leur pose placide et pastel. J’avais passé de bons moments à Cologne à la dernière Saint-Sylvestre, et je n’ai pas mis les pieds à Berlin depuis une bonne dizaine d’années.
Dehors un froid de canard, tant mieux. Sauf qu’hier j’ai dû quitter un 96 trop bondé pour mes nerfs à vif et m’engouffrer dans une ligne 4 surchauffée. Absolument atroce ces variations de température, vous ne pouvez pas quitter vos habits, vous sentez au bout d’une station la sueur perler à tous vos pores, cela poisse, cela froisse, les gens se collent dans une glu informe, vous repartez sac humide dans le froid sec. Dire que certains subissent ce supplice deux fois par jour ouvrable. Incroyable plasticité humaine, il faut toujours le retard de quelques générations pour contempler ce que des ancêtres ont été capables de subir sans broncher.
mercredi 14 octobre 2009
Marchands du Temple et menaces millénaristes
La Bibliothèque Marguerite-Audoux est à deux pas de chez moi, dans la petite rue Portefoin. Manque de chance, bien qu’il soit mentionné comme disponible dans le catalogue informatique, il est impossible de mettre la main sur le livre de Pessoa que copine Sarah m’avait conseillé de lire, mais dont j’avais toujours retardé l’achat compte tenu de son prix. J’emprunte un livre sur Pierre Molinier, et le dernier Pascal Quignard.
En face de la bibliothèque, on trouve un grossiste en pierreries, ou simili telles, de la camelote. Ce qui m’agace, il faut dire qu’un rien m’agace depuis que Maître Dukan, la prohibition d’alcool et la restriction de tabac guident ma vie. Autour de la rue du Temple, tout le secteur est colonisé par des grossistes de bijoux de pacotille, maroquinerie ou vêtement. Hier c’était en majorité des Juifs, aujourd’hui les Chinois se démultiplient à vue d’œil. Je me fous totalement de leur origine, c’est le principe même d’un grossiste ayant vitrine sur rue qui me gêne. Puisqu’ils ne vendent pas aux particuliers, inutile d’occuper le précieux espace où ceux-ci viennent lécher ces vitrines toujours trop rares à mon goût. Ils n’ont qu’à faire leur trafic sur Internet, dans des entrepôts de banlieue ou des caves humides, mais loin de ma vue. En plus, leurs camions de livraison bouchent régulièrement les rues minuscules, les klaxons me déchirent les oreilles et les diesels m’asphyxient les poumons. Une vraie nuisance. Comme les éboueurs qui, pour une raison m’échappant, ont tendance à ramasser les poubelles entre 18 et 20 h, quand Paris grogne déjà de bouchons jusque dans la moindre venelle.
De Pologne je reçois un insecte prisonnier de l’ambre. Mais l’annonce était trompeuse et le format minuscule. En des jours meilleurs, je ferai sertir ce témoignage du passé sur une bague. La contemplation du vivant ainsi figé à l’état fossile me plaît. Elle rappelle la fugacité de l’existence, et la ténacité de ses traces. Nous creusons un sillon sur des terres inconnues, au bout desquelles le gouffre sans fond se rit de nos vertiges.
Copine Peggy me fait observer que l’on ne parle plus de la grippe A. De fait, l’actualité se concentre sur les boutons d’acné de Sarkozy Junior. Peut-être que l’influenza mutante attend l’hiver pour commencer le massacre. Peut-être que cette peur n’aura été que la enième manifestation de l’industrie médiatique de l’angoisse. Il n’y aurait rien de nouveau sous le soleil, on nous a fait trembler sur l’ozone, les pluies acides, la vache folle, les OGM et aujourd’hui le réchauffement climatique, à chaque fois dans un absurde déséquilibre entre les faits établis et les risques brandis. Comme une proportion non négligeable des manipulateurs de symboles vit de cette anxiété diffuse, il y a peu de chance que les choses changent. Nous sommes restés de petits primates grégaires écoutant le sorcier parler des abominables mystères et menaces de monde.
Histoires (plutôt ennuyeuses) de sexe(s)
Hier soir, avec copine Peggy et copain Stéphane, nous allons voir en avant-première le film co-réalisé par Ovidie, Histoire de sexe(s), à l’occasion du lancement de la nouvelle chaîne pour adulte French Lover TV. C’est au mk2 de la Grande Bibliothèque. Ovidie se plaint que la commission de censure des œuvres cinématographique, après avoir proposé un classement moins de 18 ans, suggère maintenant un classement X. Ce qui équivaut à la mort économique immédiate d’un film en salle, en raison des surtaxes touchant depuis trois décennies les films dits pornos. Je trouve ridicule et liberticide cette distinction entre moins de 18 ans et X. Quand on est adulte, on est consentant, donc on consent au besoin à voir des films de cul si tel est son bon plaisir.
De toute façon, je suis favorable à la diffusion des films porno à 20h30 sur TF1, je ne comprends pas en quoi la représentation directe du sexe et de la violence pose problème à l’animal Homo sapiens. Si la vision d’un pénis, d’un vagin ou d’un anus était traumatique, je suppose que notre espèce et les espèces nous ayant directement précédés seraient traumatisées depuis des millions d’années. Il se trouve que le cinéma a émergé à la pire période bourgeoise, qu’il porte encore la marque de son philistinisme et puritanisme de naissance. Sur Internet, dont la naissance est bien plus récente, il va de soi qu’un site de cul est au même niveau que tout autre site en terme d’accès. Et il semble qu’il est bien au-dessus de la moyenne en terme de fréquentation, au grand dam des défenseurs d’une humanité à la libido gentiment domestiquée.
En même temps, et contrairement à ce que dit Ovidie, l’objectivité oblige à reconnaître qu’il n’y a pas 95 % des dialogues et 5 % de cul dans son film, mais bien 50-50. Le problème que j’ai hier soir ne se situe pas là : je m’emmerde comme un rat mort pendant 90 minutes, ou mettons 60 minutes en ôtant la première demi-heure de découverte des acteurs et du scénario. Ovidie a voulu faire un film pédagogique – un groupe de femmes et un groupe d’hommes, séparés respectivement dans une « soirée de filles » et une « soirée de mecs », évoquent leur vie sexuelle, leurs joies et leurs soucis. Mais en fait de pédagogie, on a parfois des scènes lourdement démonstratives, surtout côté filles où les dialogues peu crédibles sont débités sans grand talent. Seule copine Judy, croisée un peu avant à l’entrée, s’en sort pas mal, je trouve. Et côté garçon, Sébastien Barrio est toujours aussi drôle, il fait partie de ces acteurs qui ont une présence innée, même si son jeu est par nature assez limité. Mais bref, c’est plutôt chiant, cela aurait pu s’appeler « le sexe expliqué à ma belle-sœur ». Je regrette intérieurement que des grands réalisateurs – par exemple, un Rohmer pour le style narratif choisi par Ovidie – n’aient pas intégré et donc imposé des scènes pornographiques comme élément normal d’un film de mœurs.
Au buffet qui suit la projection, copain Stéphane et moi devisons sur la qualité des petits fours, pendant que copine Peggy fait le tour des pornopopotins. Comme chez B-Root, les mets sont bons, et aussi le champagne me dit-on. Malgré leur mauvaise réputation, les gens du porno sont fondamentalement gentils, et ils savent vivre. Du moins ceux que je connais, bien sûr.
Au buffet qui suit la projection, copain Stéphane et moi devisons sur la qualité des petits fours, pendant que copine Peggy fait le tour des pornopopotins. Comme chez B-Root, les mets sont bons, et aussi le champagne me dit-on. Malgré leur mauvaise réputation, les gens du porno sont fondamentalement gentils, et ils savent vivre. Du moins ceux que je connais, bien sûr.
mardi 13 octobre 2009
La conjuration des femmes sans nom
J’en étais sûr. Voici quelques jours, j’avais écrit un texte pour attirer le gros con. Et par la grâce de Google, j’ai eu hier ma première visite de gros con avec le mot-clé « bite énorme ». Ce doit être épatant, la vie intérieure d’un individu qui googlise « bite énorme ». Enfin, je ne porte pas de jugement, cela relève plutôt d’une simple curiosité anthropologique.
Il semble que Maître Allen a voulu tester ma volonté. Nous sommes le 13 mais pas un vendredi, et pourtant la gestionnaire du surendettement de la Banque de France m’appelle à 9h15 pour me dire que mon dossier est refusé. Il n’aura pas fallu 24 heures pour briser mon bel optimisme. Elle ne se présente pas, elle a un ton aussi agréable qu’une matraque. Cette femme sans nom répugne à répondre à mes questions, elle est visiblement payée pour notifier les refus sans les expliciter. Je dois être la simple ligne d’une longue liste. La raison avancée après que j’ai insisté : mes dettes professionnelles ne peuvent être traitées avec des dettes personnelles. J’objecte que les créanciers ne font pas de réelle différence quand ils m’en mettent plein la gueule, mais la femme sans nom s’en contrefout. Elle me dit de régler d’abord mon problème professionnel auprès du tribunal de grande instance de Paris. Que j’appelle et qui se déclare incompétent, je dois voir avec le tribunal de grande instance de Créteil. Que j’appelle et qui se déclare incompétent, je dois voir avec le tribunal de commerce de Créteil. Que j’appelle et qui se déclare compétent : je dois remplir un nouveau dossier de 10 pages pour être liquidé. Pas physiquement, remarquez bien, mais à ce rythme cela reviendra au même. Je connais ce dossier et je souhaitais l’éviter, on y demande des choses que je n’ai pas, des comptes annuels, des états de trésorerie courante, des choses que font les gens sérieux et que bien sûr j’ignore. Ma correspondante, encore une femme sans nom, me dit de venir avec ce que j’ai, on verra sur place. Ben tiens, un voyage dans l’ex ville nouvelle mal vieillie de Créteil qui ressemble à une prison dont on aurait juste oublié l’enceinte, je n’ai que cela à foutre de mes journées.
Dans le même temps, je suis toujours à la recherche de mon avis d’imposition 2008. Madame Fisc de Paris n’a rien reçu de Madame Fisc de Yerres. Et de toute façon, quand elle recevra le dossier, il faudra compter un à deux mois pour recevoir l’avis. Je regarde autour de moi à la recherche d’un objet contondant qui me permettrait de frapper dans la rue toute personne ayant la tête d’un employé d’administration. Madame Fisc de Paris comprend cependant mes problèmes, et me promet d’accélérer si je lui envoie un double de ma déclaration. Je vais même lui déposer sur place, rue Michel le Comte, c’est sur la route de la piscine Saint-Merri. Où je nage 10 longueurs rageuses pour me calmer, sans reprendre mon souffle. Mes jambes sont raides, je me sens mieux.
L’après-midi compense la matinée. D’abord, je fais ma première vente sur Amazon, nettement plus rentable que Gibert. Ensuite, je reçois la première tête de singe de mon nouveau pote de Bangkok. Elle est parfaite, sauf qu’ils ont dû bouffer l’animal voici peu, elle sent encore la moelle. Enfin, la Poste avait oublié de laisser un avis de passage la semaine dernière, et je récupère dans la foulée deux jolies fouines naturalisées. Toute cette ménagerie macabre devant servir à mes projets photographiques du moment, avec deux ou trois autres accessoires que j’ai déjà ici, dont une pléiade d’insectes congelés — au fait, si vous venez dîner chez moi, mieux vaut à toutes fins utiles vérifier ce qu’il y a dans votre assiette, je suis parfois distrait. Il me manque encore un éclairage en lumière naturelle, et je me colle aux premiers tests.
Toute cette agitation me gave les nerfs. Pour être plus précis, elle me fragmente le cerveau, qui ne peut se concentrer sur les tâches d’importance. Aristote, ou quelque autre sage ancien, disait que l’on ne peut se remplir l’esprit qu’après s’être rempli le ventre. Je goûte la vérité amère de cette évidence, dans une époque ayant rendu la première étape si souvent incompatible avec la seconde. Dans ma grande mansuétude, j’accorde jusqu’à la fin de l’année à tous les paperassiers de France pour me démontrer que j’ai raison de leur faire confiance, c’est-à-dire de gâcher mon temps à me soumettre à leurs requêtes, à jouer le jeu du parfait citoyen, parfait contribuable, parfait assuré social, parfait esclave en un mot. Si ma situation n’est pas clarifiée et simplifiée au prix de cet effort, eh bien je déclencherai de nouveau le plan B : déménagement sans laisser d’adresse, vie parallèle, parfois inconfortable, mais libre.
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