mercredi 18 novembre 2009

Encore liquidé

Un œil torve, une peau rougeaude et grumeleuse de saurien, un menton joint au torse épais par une langue de graisse ballottante, deux petites pattes écrasées par l’énorme ventre : lorsque l’individu que j’observe depuis un quart d’heure enfile sa robe d’avocat, j’ai l’impression de contempler une caricature de Daumier téléportée dans notre siècle. Je suis au tribunal de commerce de Créteil, dès potron-minet. Simple formalité : le liquidateur que désigne enfin le juge après deux heures d’attente mènera le bal dans les jours à venir. Me voici donc liquidé pour la seconde fois dans cette année 2009, ce coup-ci en nom propre, c’est-à-dire à responsabilité illimitée.

Dehors j’entends des beuglements et des klaxons : l’Algérie s’est qualifiée pour la coupe du monde de football. Au moins, la connerie n’a pas de frontière. Non pas que je déteste le football comme sport, au contraire le spectacle me plaît assez les rares fois où j’ai une télévision à portée d’œil. Mais la religion du foot avec ses masses braillardes et chauvines, très peu pour moi.

Je lis un bouquin sur le concept de genre, et je tombe sur cette phrase d’Ann Oakley, sociologue féministe, une des premières à avoir théorisé le genre : «On doit admettre l’invariance du sexe tout comme on doit admettre aussi la variabilité du genre».

Ben non, on ne doit rien admettre du tout, cette phrase exprime très exactement l’incompréhension ou la méconnaissance de la sociologie, du féminisme et de la sociologie féministe vis-à-vis des travaux en biologie. Parce que ceux-ci démontrent au contraire la variabilité du sexe. C’est-à-dire : tout ce qui définit le féminin ou le masculin au-delà des organes génitaux sera variable dans une population donnée. Et les organes génitaux eux-mêmes varient d’ailleurs avec les divers troubles du développement sexuels, mais ceux-ci, statistiquement rares, sont généralement placés dans la case pathologie (parce qu’ils provoquent détresse et souffrance chez le sujet concerné, ou bien parce qu’ils ont une comorbidité associée importante).

Deux hommes et deux femmes tirés au hasard n’ont pas de raison d’avoir les mêmes niveaux d’estrogènes ou d’androgènes, pour prendre les hormones. Ou d’avoir la même configuration neurobiochimique. Tous ces paramètres se déploient selon une distribution statistique normale dite de courbe en cloche ou courbe de Gauss. Vous avez donc la Femelle Moyenne (FM) et le Mâle Moyen (MM) dont je parlais l’autre jour, qui représente le gros effectif de la population (le centre de la courbe, en haut), et puis vous avez une variation continue avec des mâles et des femelles s’écartant de cette moyenne (les extrémités de la courbe, allant en s’amenuisant).

Dire que le sexe est invariant, c’est faire comme si les seules valeurs moyennes de la courbe avaient un sens. Un peu comme si vous disiez avec la taille et le poids (qui a la même distribution statistique) : l’humain mesure 1,70 m et pèse 65 kg, c’est un invariant. Du coup, les maigres et les gros, les petits et les grands sont rayés de la carte.

Plus j’y réfléchis, plus je pense que cette notion de genre est une erreur intellectuelle. Elle a été produite par des gens qui souhaitaient opposer inné et acquis, biologique et social, naturel et culturel, alors que ces notions ne s’opposent pas, mais s’interpénètrent de l’ovulation au cercueil. Et comment voulez-vous qu’il en soit autrement ? C’est une erreur plus profonde, une sorte de mystique par laquelle des gens semblent s’imaginer qu’il y a un pur monde des idées, des mots, des symboles, plaqué sur un autre monde des corps, et qu’il y aurait un sens à poser l’autonomie de ces deux mondes. Mais non, il n’y en a pas : les mots, les symboles, les idées sortent et entrent toujours d’un cerveau encastré dans un corps, relié à lui par des milliards de connexions électriques et chimiques.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire