vendredi 20 novembre 2009

Les pieds sur le canapé

A la demande de copain Jean, qui ne le trouve pas dans son bled de banlieue, j’ai acheté CB News à la maison de la presse voisine. CB cela veut dire en l’occurrence Communication & Business, je crois qu’il faut prononcer cibi niouse. A l’américaine vous voyez. Le contenu est navrant, surtout les photos. Sur l’une d’elles, on voit deux mecs qui ont fondé une agence de conseil média, ils posent sur un canapé genre « on est cool, on n’a pas de cravate », il y en a un qui est avachi avec le petit sourire éternel du premier de la classe des beaux quartiers, l’autre qui dans une suprême manifestation de coolitude est carrément perché sur le dossier du canapé, dans une posture pas tellement naturelle pour le commun des mortels, les pompes reposant sur le tissu blanc du siège, je me dis que j’irai pas poser mon cul dans leur salle d’attente, leurs canapés doivent être dégueulasses s’ils marchent dessus toute la journée.

Le monde de la communication, que j’ai fréquenté de ci de là dans ses diverses composantes depuis vingt ans, est composé d’individus assez peu intéressants dans l’ensemble. Je ne sais pas exactement où le communiquant se situe par rapport au journaliste dans mon échelle d’antipathie, mais ils ne sont pas très éloignés l’un de l’autre – je pense que le journaliste moyen est encore plus bas parce qu’il a des pulsions moralisatrices plus prononcées, et que je déteste l’attitude du procureur, du censeur, du distributeur de bonnes et mauvaises notes en général. Le communiquant, donc, a une certaine conscience de caste : dans un monde où la manipulation des textes et des images forme le cœur du pouvoir, il tutoie nécessairement les grands, cette proximité du pouvoir le faisant péter plus haut que son cul. Notre ami des puissants a souvent une espèce de fibre artiste refoulée, de sorte qu’il s’imagine très vaguement rebelle dans le milieu des costards-gris-chemises-bleues entrepreneuriaux formant le troupeau uniforme de ses clients – ainsi le communiquant se permet le cas échéant de ne pas mettre de cravate, de vous regarder avec un petit sourire et de marcher sur son canapé, cela fait partie de son artistitude cool. Il n’a bien sûr rien de l’artiste, et outre sa bonne conscience de révolté intérieur du système, cette contenance sert tout au plus à faire passer un manque navrant de rigueur et de profondeur dans sa production, laquelle consiste en des slides powerpoint adaptés au temps de cerveau disponible du cadre supérieur, c’est-à-dire à peu près vides, et en d’audacieuses « créa » plus vite oubliées qu’elles furent adoptées, car les revenus exorbitants du communiquant se justifient tout de même par le fait qu’il faut invariablement des heures et des heures de réunions, palabres, conciliabules pour changer la virgule d’une base line, le pantone d’un logo ou la phrase décisive de conclusion d’un grand discours stratégique de la direction à destination non pas des masses laborieuses, lesquelles regardent sagement TF1, mais des actionnaires sourcilleux ou autres « parties prenantes », comme l’on dit dans ce jargon décidément très con de ce milieu décidément très plat.

Sur ce, je vais cuire mon steak.

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