mardi 3 novembre 2009

Lidl, libraires, Lévi-Strauss



17 kg. Ce n’est pas (encore) mon poids qu’indique copine Terraillon, mais celui du sac à dos et du sac en plastique archibondés que je ramène du Lidl de Strasbourg-Saint-Denis. Vous vous en souvenez peut-être, le mois d’octobre m’a vu tenir ma première comptabilité personnelle en 41 ans d’existence. Trente et un jours plus tard, cette activité hautement stimulante pour l’intellect a révélé que l’alimentation forme mon premier poste de dépense. Ce qui est un comble : un seul repas maigre par jour, presque plus de restaurant, plus une goutte d’alcool. Bref, je me dis que Monoprix est désormais trop bourgeois pour moi, et je troque le city-marché pour le prolo-marché, Lidl, dont le plus proche se trouve à deux stations de métro. Non seulement Lidl n’est pas cher, mais on y trouve des produits meilleurs que dans la moyenne des hard-discount. Enfin je trouve, peut-être un effet dérivé de ma germanophilie. Un problème cependant : presque pas de produits allégés. Pas étonnant que le prolo soit obèse s’il ne peut acheter que du 100 % MG.

Dommage que je n’ai pas croisé monsieur RSA ou madame Pole Emploi : avec ma casquette, ma polaire, mes suées dues au chaud-froid de la saison et de la ligne 8, ils m’auraient signé un chèque direct sur le trottoir. Plein de boutiques de perruques pour Africaines, la prochaine fois je regarderai les prix. Derrière une vitrine, cinq rangées de quatre Asiatiques s’affairent à des manucures, là encore il faudra que je me renseigne sur le tarif. Où que je sois, je ne pense qu’à dépenser. Incorrigible. Sur le quai de la station un moustique tourne autour de moi, manquerait plus que j’attrape le palu.

Plus tôt dans la journée, je cherche SCUM Manifesto de Solanas : rien chez Joseph Gibert, rien chez Gibert Jeune. Près de la rue Saint-André des Arts, un gars vend des livres d’art sous un auvent. Un catalogue allemand d’expo Mikhailov est à 50 euros, inaccessible. Sur les quais, j’avise un bouquiniste dont les cheveux longs et gris cerclent un front haut et ridé : il soliloque sur une chaise tandis que ses livres indifférents aux passants prennent l’humidité.

Lorsque je rentre chez moi, je vais sur Amazon.fr et je trouve SCUM Manifesto chez 12 vendeurs différents à partir de 3,85 euros. Même pas besoin de le commander : copine Peggy, à qui j’avais parlé du très beau roman de Stridsberg, m’a envoyé un lien vers le livre en pdf. Je surfe sur Amazon.de et je déniche le Mikhailov chez 5 vendeurs à partir de 25 euros. Voilà pourquoi bon nombre de libraires vont finir comme mon bouquiniste solitaire. Sauf krach énergétique rendant l’envoi de colis hors de prix, et encore ce sera sans effet sur le livre électronique, ça le boosterait au contraire. Pour survivre, ces libraires, ou au moins ceux qui vendent du neuf, vont devoir faire des efforts, proposer du thé, des gâteaux, des partouzes, des lectures, des signatures, n’importe quoi en sus du livre pour attirer et fidéliser le chaland. Ce que beaucoup font d’ailleurs, mais le phénomène devrait s’accentuer.

J’apprends que Claude Lévi-Strauss est mort, pas loin de 101 ans. Il avait la qualité d’être discret, ce qui n’est généralement pas le cas de l’intellectuel français, son coreligionnaire atrabilaire et pétitionnaire. Il a d'ailleurs fallu quatre jours pour apprendre sa mort ; quand BHL va casser sa pipe, on le saura dans la seconde suivante. Je crains cependant que son œuvre vieillisse moins bien que lui ne l’aura fait. L’approche structuraliste en anthropologie n’a pas une descendance très féconde, à ce que j’en lis dans la littérature spécialisée. Reste bien sûr les récits ethnographiques et réflexions éparses, mais le « système » et la « structure » qui faisaient tant bander dans les années 1950-60 ont perdu de leur effet érectile.

Copain Jean, dont la visite matinale m’a redonné une belle humeur, me demande de réfléchir d’urgence à « un univers sémantique commun aux raffineries de pétrole et aux stations service ». Parfois, je me fais rire aux éclats.

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