jeudi 22 octobre 2009

Au jeu des masques

Malgré l’abandon du régime Dukan dans sa phase d’attaque, avec pour seule rescapée la galette tenant lieu de petit-déjeuner, déjeuner et goûter réunis, je continue de perdre du poids : 64,7 kg ce matin, selon copine Terraillon. Rétrospectivement, je me demande ce que j’absorbais pour être si lourd. Se peut-il que l’alcool à lui seul m’empâte ? C’est bien possible. Dans ce cas, cela signifierait une relative insensibilité de mon corps aux plats gras. Il faudrait que je fasse une semaine McDo-Kebab à titre d’expérience. Mais cela ne me tente même pas, le régime du Maître est si efficace que mes nostalgies lipidiques ont été effacées, au moins pour le moment.

Journée presqu’entière de réunions diverses, l’horreur. Au bout d’un moment, assez rapide, je suis mal, je n’arrive plus à fixer mes pensées, j’ai absolument besoin d’être seul, de ne plus parler, de ne plus écouter, de ne plus me sentir surveillé, je regarde les gens autour de moi comme si un film se déroulait, mais un film où je me verrais comme acteur perdu dans un coin du champ. Ma difficulté à travailler en équipe – au moins dans le monde réel, parce que de manière virtuelle je n’ai aucun problème – m’aura coûté cher. Mais qu’y puis-je, je n’ai jamais aimé cela, les sports collectifs m’ennuyaient déjà à l’école, il me fallait quelques bons amis choisis et surtout rien de plus, le nombre m’encercle, le groupe m’oppresse, la foule m’étouffe.

Il y a quand même des choses intéressantes dans ces rencontres, bien sûr. Le matin, un chercheur du CNRS m’explique comment la linguistique permet de faire émerger l’idéologie implicite d’un texte, cela s’appelle sémantique des points de vue, on cherche des topoï. Je l’écoute et j’observe sa grande barbe, aussi sa jolie pipe d’écume. Il m’apprend que l’écume se désagrège vite. Lui ne peut se défaire de ses pipes favorites, et va jusqu’à les replâtrer lors que la combustion et le raclage ont fini par trouer le fragile matériau.

L’avantage de réunionner chez soi, c’est que l’on est tranquille pour fumer, pisser, boire du café. Ce n’est pas le cas l’après-midi, où une hystérique du développement durable (j’aimerais dire une pétroleuse, mais je crois que l’énergie fossile est mal vue) me casse les oreilles et les couilles avec un discours militant. Ah le militant… je comprends très bien que l’on milite à un moment de sa vie, par exemple quand on a des poussées d’acné et d’hormones vers 15 ans. Mais je suis toujours épaté par ceux qui poursuivent l’expérience au-delà, se dévouant corps et âme à la Grande Cause de leur vie. Cela dit, avec la dépolitisation et la désyndicalisation, le modèle se fait rare dans les générations émergentes. Mais pas de raison qu’il disparaisse tout à fait, le militantisme est la forme laïque et sécularisée des anciens engagements religieux, toute cause attirera toujours à elle les dévoués sectateurs et leurs communautés soudées. Comme je ne suis pas chez moi, je ne peux ni fumer, ni pisser, ni boire du café, je gratte sans conviction mon carnet de notes. Je regarde le bleu du ciel derrière la haute fenêtre. La table de réunion est immense, on doit pouvoir tenir à 25 autour d’elle. Elle occupe toute la pièce et la massacre en même temps, tout ce bel espace gâché pour la fade parlotte.

L’ordinateur du Pôle Emploi me propose un poste de traducteur d’allemand à Tulle. Cela tombe bien, je ne parle pas allemand et je souhaite rester à Paris. Évidemment, si l’on est radié des Assedic après avoir refusé trois offres dans ce genre-là, je comprends mieux le problème.

Je viens bientôt toucher mes revenus de vente Amazon, et pouvoir m’acheter un petit éclairage continu. Le plus difficile sera de transformer ce cagibi d’appartement en studio photo, mais j’y parviendrai, au moins pour des natures mortes, ou pour des portraits et séries en cadrages serrés. Là aussi j’ai plein de projets, trop, il faut que je discipline cela. Ces photos comme mon roman seront le socle de ma nouvelle mutation à venir – cela m’a d’ailleurs surpris que copine Sarah me renvoie vers Pessoa, car au-delà du Livre de l’intranquillité, elle ignorait sans doute combien je goûte anonymats, pseudonymats, hétéronymats, le jeu des masques en général. J’ai pu observer combien les gens accordent d’importance au nom, comme si cette identité, cette provenance, cette lignée étaient plus importantes que le contenu présent de notre action. Ils sont beaucoup à rêver de se faire un nom. J’aurai passé ma vie à me défaire des miens.

1 commentaire:

  1. Copine Sarah dit :
    je l'ignorais...
    à propos de masques, il y a une chouette expo de James Ensor au Musée d'Orsay.

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