mercredi 28 octobre 2009

La (nouvelle) fable des abeilles

De tous les maux intellectuels qui accablent l’époque, l’environnementalisme béat n’est pas le moindre. Journaux, radios, télés et sites dégorgent de pleurnicheries climatiques, de lamentations polluées, de complaintes biodiversifiées, de gémissements radioactifs. Tout cela est pieux et généreux, mou et flou, romantique et pathétique. Le Français moyen n’aime généralement pas être qualifié de conservateur, surtout le djeune rebelle, mais quand il s’agit de conserver la planète en l’état, c’est la course en avant réactionnaire.

Remarquez bien : je ne souhaite pas le génocide de l’ours blanc ni le sacrifice du bébé phoque. Mais je ne supporte pas la bêtise grégaire, encore moins la malhonnêtété intellectuelle. Je pense à cela en lisant un papier d’Aizen et Harder dans le New Scientist. Ces deux chercheurs sont notamment spécialistes des abeilles. Ils tordent le coup à la phrase stupide que l’on prête à Eistein : «si les abeilles disparaissent, l’humanité suivra dans quatre années». Et à tout le tralala qui accompagne depuis plusieurs années le déclin de l’abeille dans le discours médiatique.

Et d’un, Einstein n’a jamais dit cela. Et de deux, sur les 115 plantes les plus indispensables à l’humanité, seules 70 sont pollinisées et parmi celles-là, la plupart sont autopollinisées. Et de trois, l’Europe et les Etats-Unis ne sont pas le centre du monde : leurs pertes récentes ont été plus que compensées par les gains africains, asiatiques et sud-américains, de sorte que le stock mondial d’abeilles domestiques a augmenté (et non diminué !) de 45% en 50 ans. Et de quatre, les pesticides et herbicides sont loins d’être les seuls coupables dans les zones où l’abeille domestique a effectivement décliné, il n’est même pas certain qu’ils soient du tout responsables, le syndrome d’effondrement de colonies ayant plus probablement une cause principale de nature virale ou parasitaire.

Mais voilà : un discours simpliste et alarmiste qui désigne un ennemi facile aura toujours plus de succès qu’un exposé rigoureux qui fait l’effort de collecter les données et de montrer leur complexité. C’est vrai dans tous les domaines. Quand vous avez le malheur, comme moi, de vous méfier des bavardages confus et des dissertions vagues, quand vous cherchez presque par instinct le roc des faits derrière l’écume des mots, eh bien vous avez souvent le sentiment d’être un extra-terrestre. Et ne croyez pas que vous aurez un jour un instant de repos. Parce qu’un mantra en chasse un autre, quand les abeilles seront oubliées, personne ne battra sa coulpe pour les conneries émises, on se plaindra avec une ardeur redoublée du déclin du moustique, du moucheron ou de je-ne-sais-quel truc volant.

Dans une autre étude parue ces jours-ci, deux chercheurs ont montré que sur tout sujet, les extrémistes ont tendance à s’exprimer plus largement que les modérés, notamment parce qu’ils croient que leurs convictions sont partagées par une majorité silencieuse. Ils ne songent même pas à convertir leurs voisins, mais s’imaginent exprimer ce que le voisin pense déjà au fond de lui-même. Effrayant quand on y songe, de vivre ainsi parmi des primates qui s'imaginent être les porte-parole obligés de vos idées.

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