lundi 12 octobre 2009

Comment émouvoir un logiciel?

Aujourd’hui il fait frais. Aussi je fignole mon costume d’indigent en mettant une polaire plutôt informe, d’une improbable couleur rouille, achetée jadis au Vieux Campeur, discrètement souillée aux manches de taches de peinture. On me donnerait le RSA sans confession et cela tombe bien, c’est exactement ce que je vais demander à la mairie du IIIe. Les locaux d’un monumental haussmanien en sont spacieux, il n’y a pas la queue aux services sociaux, il faut dire que le quartier n’est pas non plus miséreux. Grâce au travail préparatoire de Maître Allen, mon dossier est nickel. La brave employée a les yeux pleins de compréhension, je dois être vraiment convaincant dans le rôle du mec fondamentalement gentil condamné par un destin intrinsèquement tragique. Ne reste plus qu’à attendre le bon-vouloir de la CAF, et surtout de ses ordinateurs aveugles qui vont calculer si j’ai droit à quelques kopeks. Cela vaudrait mieux vu que je ne touche rien et que le mot épargne, on le sait, est inconnu dans ma langue. Mais autant on peut séduire une assistante sociale, autant il est difficile de faire pleurer un logiciel. Qui plus est, mon honnêteté risque de me coûter cher, puisque j’ai déclaré mon dernier trimestre réel de revenus. Étant hier encore travailleur indépendant, j’aurais parfaitement pu oublier quelques factures de l’été.

Je décide de faire un doublé et le début d’après-midi me voit franchir le sas de la Banque de France, place de la Bastille. Non, ce n’est pas pour un braquage, quoique cette idée m’ait souvent traversé l’esprit depuis l’adolescence, époque où je suivais les aventures de Mesrine dans Paris-Match et rêvais au casse du siècle perpétré par Spaggiari à Nice, en même temps que je lisais l’intégrale d’Arsène Lupin. Mais un fond d’honnêteté, ou plus probablement de peur, m’a empêché de prospérer dans le crime. Et donc si je suis à la Banque de France, ce n’est pas pour embarquer des lingots qui n’y résident de toute façon plus, mais pour déposer un dossier de surendettement. L’employée admire encore la précision de mon dossier, mais ce sera un gestionnaire qui décidera s’il est ou non complet et surtout recevable. Réponse le 3 novembre. J’essaie de passer la totalité de mon endettement sur ce coup, sachant que ma position de demandeur d’emploi peut me valoir un gel complet de 12 à 24 mois. Déjà de quoi respirer, si cette hypothèse la plus optimiste se réalise, cela me changera des tiers-détenteurs mensuels frappant inutilement des comptes que j’ai toujours soigneusement vidés.

D’avoir fait cela, mon esprit se repose déjà. Plus que cinq ou six lettres aux créanciers les plus pressants pour leur signaler que je suis insolvable pour le moment, et je n’aurais rien d’autre à faire qu’à attendre les décisions des diverses autorités prises à témoin de mon naufrage. C’est tant mieux, si Maître Allen m’a miraculeusement donné le sens de l’organisation, cela me fait royalement chier de gaspiller mes neurones à cette paperasse. Vous observez ici-même combien ces démarches occupent une bonne part de mon temps et de mon esprit, et conviendrez je l’espère d’un gâchis.

Absolument rien dans ma boîte aux lettres sur les enchères en ligne de mes biens, la dèche me condamne donc au régime, c’est très bien ainsi : une trésorerie de cauchemar contraint au CORPS de RÊVE. Il me reste quelques légumes pour le cuit-vapeur et un steak, ce sera suffisant, je prends quand même une minificelle de pain complet pour caler au cas où. La faim vous donne souvent de redoutables insomnies d’endormissement, voire de réveil, et je n’en ai vraiment pas besoin vu le retard de sommeil accumulé depuis quatre ou cinq jours.

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