mercredi 7 octobre 2009

Chômeur !

Je me regarde une dernière fois dans la glace. Pas lavé, pas rasé. Imper court noir et neutre, sweat sombre informe laissant apparaître un tricot de peau blanc, pantalon velours un peu grand, c’est un Jean-Paul Gaultier mais cela ne se voit pas, tennis noir. J’hésite à remplacer le Manhattan Portage rouge vif par un Eastpack plus quelconque, mais j’ai la flemme et après tout, ce n’est pas un Vuitton. Je suis presque parfait dans mon déguisement de prolétaire du verbe déclassé, le mec humble vaincu par le sort, la victime désignée de l’essssssclusion, le naufragé-né en préccccccarité. Je ne prends pas de mouchoir, comme ça si la morve me coule au nez, je la nettoierai d’un revers de poignet indifférent.

J’aurais pu louer cinq ou six mômes braillards pour m’attendre dans la salle d’attente en criant «papa papa, on a faim, on veut un grec chez Momo», mais il aurait été difficile de justifier leur existence. Idem si je m’étais mis à simuler un handicap. Et puis un rédacteur aveugle, ce n’est pas très crédible.

En route vers le Pôle Emploi. Il est au métro Louis Blanc. Forcément, on n’envoie pas les pauvres à Saint-Germain des Prés, Opéra ou Georges V. J’ai mon gel antibactérien Assanis. On ne sait jamais, je veux bien fréquenter la cour des miracles, mais pas partager ses germes.

Vous allez peut-être croire que je n’aime pas les pauvres. Mais non, rassurez-vous, je n’aime pas les gens en général. Et à tout prendre, sur mon échelle d’affinité sélective, la métrique n’est pas pauvre-riche, mais con-pas con. Des cons, il y en a dans toutes les classes, toutes les races, tous les milieux, ça je vous le garantis.

Dans le métro, je peaufine les derniers détails. Par exemple, je casse vers l’intérieur mon col d’imper pour qu’il soit mal mis. Je chope un gratuit, Direct Soir, qui fait plus erratique que Books. Pour bien me pénétrer de mon rôle, je lis les pages sports, télé et aussi mon horoscope. «Carrière : vous pouvez espérer beaucoup de cette journée qui sera riche en surprises…». Ben tiens.

Bonsergent, Gare du Nord, Gare de l’Est et voilà Stalingrad. Il fait très doux, je remercie le réchauffement climatique. Le Pôle Emploi est juste en face du Conseil des Prud’hommes, un grand, laid et moderne bâtiment, non loin d’un poste de police. Pratique, vous perdez votre cause aux prud’hommes, vous allez direct au chomdu. En entrant, je suis frappé par l’odeur, la même que dans le service gériatrie psychiatrique où végète mon père. Pourtant je ne vois aucun vieux en décomposition dans le hall.

Le bâtiment est propre, nickel même, sauf un faux plafond manquant révélant des réseaux de tuyaux argentés. J’ai une terrible envie de pisser, mais les toilettes sont fermées pour cause de plan Vigipirate. On imagine pourtant mal un islamiste se faire exploser dans le PQ des chômeurs. Je demande à la Berbère de l’accueil de m’ouvrir la porte, elle acquiesce mais ne l’ouvre pas, ou alors je n’ai pas tourné la poignée à temps. Tant pis, je reste avec ma vessie pleine.

Dès mon arrivée, on m’a filé huit pages denses de paperasses à remplir. Rien que ça, j’aurais pris un Lexomil voici encore deux mois. Mais grâce à Maître Allen, la procédure n’a plus de secret pour moi, je suis le champion de la déclaration, l’as de l’imprimé, le virtuose du formulaire. Autour de moi, il y a un téléphone, une borne internet, un photocopieur et tout cela semble gratuit. Pratique.

On me reçoit enfin, un grand gars assez efficace dans un bureau dépouillé style Ikéa. Cela va vite : il n’aura pas fallu trente minutes pour que l’imprimante crache ma carte officielle de demandeur d’emploi. Fini les clichés sur les Assedic aux salles d’attente surbondées. Enfin ici, à Paris 10e, dans le 9-3 c’est peut-être toujours le cas. Je me demande de quoi se plaignent les chômeurs, on est aux petits soins avec eux.

Après cette première étape, je suis encore reçu par un conseiller. Cette fois, il s’agit de trouver du boulot. Je patiente de nouveau dans le hall. Des gens désœuvrés attendent sur un banc, sans rien faire d’autre que regarder devant eux. Il faut le faire pour ne rien faire ainsi, moi je n’y arrive pas. Une grosse dame s’agite sur une table en remplissant des paperasses et en murmurant des remarques inaudibles. Sur le mur, une affiche destinée aux emplois handicapés montre une naine qui a l’air heureuse de planter des clous. Enfin, je ne sais pas si ce sont des clous, l’image n’est pas nette.

Avec le conseiller, on parle de mon CV, de mes attentes. Le gars se plaint de son logiciel, où il peine à écrire sans faute. Je ne sais pas me vendre, donc je n’ai pas trop de difficulté à paraître inemployable. Du moins on verra. En revanche, je suis convoqué de façon impérative vendredi matin 9 h pour un stage de formation aux outils d’accès à distance aux demandes d’emploi. Si je ne me pointe pas, je suis radié. Ca ne rigole pas.

87 minutes après mon entrée dans le Pôle Emploi, je ressors avec mon matricule et ma carte officielle de chômeur. Le bonheur, ça n’arrive pas qu’aux autres.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire